Ecartez-vous, écartez-vous, vous dis-je, elle est malheureuse, elle a rompu. Laissez-la respirer, ils ont rompu. Ils ont rompu, mon Dieu, elle va étouffer. Mon Dieu peut-être faudrait-il plutôt parler avec les mots exacts : Il l'a quittée et elle est malheureuse très malheureuse au moins comme les pierres et tout le monde qu'elle croit tourner autour d'elle finit de s'écrouler en même temps que se finit cette phrase.
Ecartez-vous, écartez-vous, s'il vous plaît, laissez-la respirer, elle est tellement malheureuse, la petite. Elle voudrait qu'on pleure avec elle. Elle a envie qu'on lui dise qu'on l'aime, qu'elle n'a jamais été seule.
Mais ce n'est pas vrai, chérie. A son âge, la solitude, la vraie, on ne comprend pas bien ce que c'est, on n'appréhende pas. On veut juste être plainte, consolée. On croit qu'on veut être félicitée "Ouh, c'est zoli comment tu dessines" mais ce n'est pas vrai. Chérie, le besoin crétin de reconnaissance il est plus du côté couillu de l'humanité. La compassion quémandée, elle, elle se retrouve du côté de ces millions de vulves amorphes, jeunes, minables et décérébrées.
La pauvre petite paye sa prétention, son égocentrisme. On lui a trop dit qu'elle était douée et jolie, on lui a trop dit il n'y a aucune manière d'en douter. Du coup du coup la pauvre petite pleure et pleure encore sur sa pauvre condition de jolie fille douée, elle pleure et elle pleure encore, parce qu'elle a envie qu'on la plaigne, qu'on lui dire reviens on t'aime. Trop prétentieuse pour répondre à l'affection qu'on lui porte, trop prétentieuse pour s'éteindre en silence, la pauvre petite attend quelque chose qui ne viendra jamais.
Regardez-moi comme je suis malheureuse, écartez-vous et taisez-vous. Admirez-moi comme je suis malheureuse j'en vaux tellement la peine.
Laissez-moi pleurer devant vous et consolez-moi dans le vide. Taisez-vous et contemplez-moi dans le vide.
J'ai un retour de flamme dans mon égo surdimensionné. Je croyais pourtant tout savoir sur tout. Je suis une pauvre petite fille douée, jolie et malheureuse. Oh oui, j'ai vingt ans et je suis une pauvre petite fille douée, jolie et malheureuse qui aime qu'on l'admire qu'on la console et surtout qu'on la plaigne, une pauvre petite fille douée, jolie et malheureuse qui n'admet pourtant pas adorer qu'on l'admire qu'on la console et surtout qu'on la plaigne.
Alors laissez-moi pleurer devant vous. Consolez-moi dans le vide. Puis taisez-vous et contemplez-moi dans le vide. S'il vous plaît.