Devant des dizaines de milliers de personnes, un homme tout jeune et déjà très vieux, harassé par un succès planètaire qu'il n'avait jamais vraiment demandé, se permet de prendre tout le monde au mot et d'apparaitre poussé en fauteuil roulant avant d'entonner "The Rose", et d'enchaîner un set époustouflant de rage et de bordélisme. Il sait que tous les regards sont tournés vers lui, que les rumeurs vont bon TGV et que les critiques et autres dirigeants de maisons de disques si peu soucieuses de la qualité artistique ne trouveront rien à redire tant que les ventes suivront.
Il y a du foutage de gueule dans l'air, comme tout ce à quoi ressemble le monde du rock depuis le début des années 90, dans lequel un nombre grandissant de jeunes ne se reconnaissent plus.
Alors quand un groupe de pseudo-nerds sales et pouilleux réclament à corps et surtout à cri leurs droits à la reconnaissance de leurs pairs, ça parle à toute une génération. Mais est-ce que quelqu'un a vraiment écouté? Etait-ce juste qu'une crise d'adolescence de plus?
Noël 91 a vu aux USA un retour record des exemplaires de "Dangerous" de Michael Jackson pour être remplacé par "Nevermind".
92 encore, où un autre jeune homme hurle à la liberté, ou répète inlassablement "Fuck you, I won't do what you tell me!" pour pousser Sony dans ses derniers retranchements, ou tout du moins faire semblant
En France, un futur meurtrier crie de son côté "soyons désinvoltes, n'ayons l'air de rien!"
Alors U2 restera malheureusement U2, et la télé continuera à passer les Spice Girls en boucle, alternant avec les épisodes d'"Alerte à Malibu", et dès 1993 "In Utero" sera un relatif échec commercial, car trop risqué pour la maison de disque elle-même. Au même moment un dernier jeune homme, plus laid plus malingre encore que les précédents, chante quant à lui qu'il est une merde, un type bizarre qui ne sait pas ce qu'il fait là. J'ai déjà pas mal évoqué celui-là je ne vais pas y revenir.
Moins de 20 ans après, que reste-t-il?
La musique, ne serait-ce qu'elle, serait-elle devenue meilleure? Sûrement pas. Kurt Cobain est mort en vain, mais sa dignité de musicien sinon sauvée, au moins épargnée, s'engueulant avec sa femme qui considérait que se compromettre au Lollapalooza valait bien une poignée de millions de dollars.
Pourquoi 1992 plutôt qu'une autre année? Parce que pour moi, et j'imagine facilement que suis le seul à choisir aussi arbitrairement une période, que je considère centrale, elle est fondatrice, a posteriori d'un nouvel esprit dans la musique dite "alternative".
Ce n'est pas qu'une question de concerts, ou de sorties d'albums, mais de vision du monde artistique et musical en particulier.
Bien sûr il y eut un après, loin s'en faut. Mais il faut mettre une sorte de barrière pour ne pas déprimer et devenir passéiste. Voir aujourd'hui ce que sont devenus les Smashing Pumpkins, Rage against the machine, Red Hot Chili Peppers (même si je ne sais pas comment Flea fait pour rester aussi bon), ou même Deftones et Placebo me fait déprimer. Et je ne les cite pas tous...
Seul voir Prodigy en concert me fait dire que tout n'est pas perdu, sans parler de Radiohead bien entendu.
Et les Wampas, par exemple, qui m'ont bien surpris pour leur "âge".
De ma petite lucarne j'ai toujours pensé que Kurt Cobain avait vu ce qui l'attendait. Lire sa biographie et son journal (hallucinant) m'en a convaincu.
Quoiqu'il en soit je vous conseille vivement le "live at Reading" de Nirvana, enfin sorti officiellement. Tout y est, je vous jure (sauf "The Rose"). Et l'imperfection formelle ne sera là que pour étayer ma réflexion.
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