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10 décembre 2009 4 10 /12 /décembre /2009 02:27

Mardi soir, alors que je me mettais en route pour Opéra voir "paranormal activity", je reçus au moment de sortir de chez moi un coup de fil qui m'étonna beaucoup. Il s'agissait de Hildegarde (son prénom est modifié pour respecter son intimité), une ancienne copine de fac que je n'avais pas vu depuis des années. Je me souvenais bien d'elle, mais ma surprise restait entière
 "Comment t'as eu mon numéro, au fait?"
 "Ben, en fait, c'est Brünehilde  que j'ai eu au téléphone tout à l'heure."
Ah, Brünehilde
(pour préserver sa vie privée, son nom... bon, vous aurez compris), une autre copine de fac, qui comme son nom ne l'indique pas du tout, est blonde et plutôt canon, genre "graphiquement optimisée" comme on dit chez nos amis les geeks, et avec qui je n'ai jamais pu conclure, même en faisant l'effort de reprendre contact avec elle des années après la fin de nos études. Hildegarde, elle, regardons les choses en face, ne m'a jamais attiré.
 "Et tu m'appelais pour une raison particulière?
 "Aucune, en fait, je voulais juste prendre de tes nouvelles..."
 "Ah? Dans ce cas, ça te dit que je te rappelle demain? Là, j'étais sur le point d'aller au ciné et..."
 "Tu y vas seul? Tu vas voir quoi? Où ça?"
 "Euh... Oui, j'y vais seul, à Opéra, pour voir "paranormal activity"
 "Oh, mais c'est pas loin du tout de là où je travaille, et puis j'avais envie d'aller le voir aussi. Tu m'autorises à t'accompagner?"
 "Euh, bah... oui" je suis faible, parfois
 "Tu as mangé?"
 "Euh, bah... non"
 "Super, moi non plus. Je suis en train de regarder les horaires, là, c'est la séance de 21h40 au Gaumont Capucines c'est ça? Ca nous laissera le temps d'aller trouver quelque chose d'ouvert après, y'en a dans ce coin-là..."
 "Euh... si tu veux"
 "On se retrouve devant à 21h30! Bon, je te laisse, j'ai encore plein de trucs à finir je suis à la bourre dans ce que j'avais à faire et il est vraiment super tard, bisou! " click
 
Damned.

Moi qui me plains tout le temps d'aller au cinéma tout seul, là une fille s'incruste et ça m'emmerde. Vive moi. Pour ma défense cette fille c'est Hildegarde.

Je me demandai si elle avait un peu changé depuis la fac.

En fait, oui et non. Elle est petite et toute fine et plutôt jolie, mais j'y peux rien, elle ne me plait pas. Elle est très élégante, malgré le mauvais temps, et elle sent bon, malgré la pollution et le mauvais temps, et elle est radieuse, malgré le mauvais temps. Mais elle ne me plait pas. Damned bis.
En plus, elle est vraiment heureuse de me retrouver après tout ce temps. Damned ter.

Lorsque j'arrive devant le cinéma elle est déjà là et m'accueille avec un grand "TITIIIILE!" (oui, pour préserver mon intimité, et même si je dois sacrifier le peu d'amour-propre qu'il me reste, mon pseudonyme sera réduit à sa plus simple expression gagatisante et puérile). C'est un vrai moulin à paroles qui se déchaîne sur moi avant le début de la séance. Je réponds et participe poliment à la conversation. J'aurais presque envie de parler de Brünehilde, mais je me rends compte que ce serait très inconvenant. Le film commence et elle se tait d'un seul coup. Comme la tension monte progressivement, c'est progressivement qu'elle se rapproche de moi, pour finir par s'aggriper à mon bras de toutes ses forces et me foutre la honte de ma vie, pire que quand j'étais allé voir "le sixième sens" avec ma soeur. Cette fille est pire que ma soeur devant les films, c'est un exploit.

A la fin, quand les lumières se rallument, elle s'excuse, traumatisée, et m'indique qu'elle aimerait bien aller manger vite fait et oublier ce qu'elle vient de voir. Elle ne fait pas semblant, c'est certain. J'avais oublié qu'elle était aussi émotive. Comme elle a un peu de mal à marcher, nous nous rendons au "rhinocéramus" juste en face du cinéma. Le rhinocéramus est une chaîne de restaurants dont la qualité du service change du tout au tout selon les endroits, alors que la qualité gustative continue de se dégrader avec les années, à l'inverse des prix. C'est bien dommage.

Malgré cela, il serait d'extrême mauvaise foi de dire que nous n'avons pas passé un bon moment. Bavarde, Hildegarde (ouh, l'allitération, classe) n'en est pas pour le moins très drôle, attendrissante et curieuse de tout. Le repas se passe bien, donc, et nous traînons. Elle me remonte le moral. Je l'impressionne à me laisser inviter, me disant qu'elle gagne beaucoup mieux sa vie, que moi, chômeur, et que la prochaine fois ce sera à mon tour.
 "Tu fais des progrès, il y a quelques années, tu aurais préféré crever plutôt que de laisser une fille quelle qu'elle soit te payer le resto" fait-elle en souriant. Même pas vrai, en fait. C'est juste que je sais qu'elle est têtue et plus riche que moi et que je n'ai pas envie de débattre de mon soi-disant machisme ou non avec elle. Je lui ai offert le ciné à tiers-prix, quand même!
 "Oh, t'as vu l'heure? je pourrai jamais rentrer chez moi à Sèvres! Et puis tu habites dans le 11ème, c'est ça? Ca sera beaucoup plus pratique pour moi, pour repartir demain! En retour du repas, il faut que tu me laisses dormir chez toi!"
 "Euh... non, désolé, c'est sale et j'ai pas la place du tout" pas sympa
 "Roooh, allez quoi, t'as pas de coeur? Tu vas me laisser toute seule dans le froid et la nuit?"
 "Ben, je te suis très reconnaissant pour le repas, et je te le rendrai, mais tu dois aussi avoir des sous pour un taxi, non?"
 "Oui, mais ça coûtera moins cher jusqu'à chez toi. Et je sais rester économe. Et j'ai l'esprit pratique, regarde si tu veux dans mon sac: j'ai toujours une brosse à dents, une culotte de rechange et des préservatifs" rit-elle
 "Waou" impertubable. Tellement imperturbable que, plutôt que de la vexer, ça l'a plutôt motivée, en y réfléchissant bien.

N'allez pas croire que je me la joue. Bien au contraire. Je me méfie tellement des filles qui "rabaissent leurs exigences" que j'ai fini par ne faire confiance à aucune d'entre elles. Et puis je me suis autoproclamé recordman de l'univers du nombre de filles avec qui j'ai couché (sens premier du terme) sans introduire mon biiip dans leur muuut. Donc, méfiance.
Je ne voyais pas ce que me trouvais Hildegarde, et j'appréciais encore moins l'idée qu'elle se "rabatte" sur moi. Fierté mal placée, certainement.
Néanmoins, le trajet en taxi fut étonnament décontracté. Nous avons repensé à nos connaissances communes, nous imaginant en riant ce qu'elles étaient devenues.

Arrivés chez moi, je vous passe les détails, nous fîmes finalement ce que nous avions à faire: une très jolie partie de scrabble. Je dis très jolie parce qu'avec le nombre de x,y ou z sur des lettres et mots compte triple qu'elle a mis, eh bien je me dis que nous n'avons pas perdu notre temps. Je sais que selon des magazines scientifiques extrêmement sérieux comme Moxx 70% des femmes font semblant de s'amuser en jouant au scrabble mais peu importe. Moi j'ai réussi à placer mon mot compte double et je me suis félicité.

Bref, pendant qu'elle prenait sa douche, et que je tapais mon article du jour sur Eric Besson (n'y voyez aucun rapport s'il vous plait), à la va-vite pour qu'elle ne me pose pas de questions, je gardai un oeil sur mon radio-réveil Sony préhistorique (il date du collège, j'y tiens plus que la prunelle de mes yeux) et me dis qu'il était bien tard.
Elle sortit toute nue en râlant que ma salle de bains était un égout. Je pensai juste qu'elle avait les plus beaux seins que j'avais jamais vus. Pourquoi l'avais-je pas remarqué, ou deviné bien avant ça je n'en sais rien.

Bref, je sortis deux bières et lui en tendit une qu'elle but goulument. Je fus un tantinet rassuré quand je compris qu'elle n'était pas partante pour un monopoly. Oui, 80% des femmes s'ennuient en jouant au monopoly. Mieux vaut éviter donc. Après une discussion quelconque sur nos avenirs divergents, nous conclûmes qu'il fallait mieux se mettre au lit, pour qu'elle arrive à se lever sans trop de mal le lendemain.

En japonais, il y a un mot nominal simple, qui résume l'ensemble de ce qui aurait dû, doit devrait ou devra être. "Hazu". On AURAIT dû dormir vite pour qu'elle se réveille tôt, hazu.
Et c'est exactement à ce mot que je pensais quand au moment d'éteindre la lumière, lorsque nous nous sommes collés en chien de fusil et qu'elle me fit:
 "tu sais, dans le film, ils dorment comme ça au début..."
 "moui, peut-être, dors"
 "t'as pas eu peur, toi?"
 "un peu, si, mais dors"
 "bon...
  ...
 "Titile?"
 "moui"
 "je repense au film, tu crois, toi, aux démons et aux esprits?"
 "non, pas vraiment. Dors"
 "moi, si, un peu..."
 "allez, dors, s'il te plaît"


totoc
  'Hiik! Titile, c'était quoi ça?" elle a sursauté et m'a fait sursauter, de fait
 "ça, c'est mon chauffe-eau, il fait ce bruit très souvent"
 "très souvent comment?"
 "je peux pas te dire. DORS"


137 secondes plus  tard:
taKLON
 "Hii, mais c'est horrible!"
 "tu vas t'y habituer, arrête un peu"

20 secondes plus tard:
TONGKLANC
 "HIIIK Titile fais quelque chose j'ai peur!"
 "Ecoute je vais pas éteindre le chauffe-eau, je veux pouvoir prendre ma douche normalement, moi, demain. Allez, calme-toi, ça va s'arrêter, il est en train de chauffer l'eau froide parce que tu l'as vidé"
 "d'accord"
 plusieurs tankloc ou autres patank suivent, avec à chaque fois un petit cri contenu très énervant
 "Titile, j'ai peur... fais quelque chose je t'en prie..."
 "Pfff, t'es chiante, vraiment" je me lève et vais baisser le thermostat à zéro dans la toute petite cuisine de mon 17m2. Je me recouche et elle m'embrasse faiblement en me remerciant.


Exactement 586 secondes plus tard:
TANKOKBOM!
 "HAAAA! TITILE! LE DEMON! LE DEMON!" crie-t-elle. C'est fou ce que les peureux peuvent finir par vous faire peur à la fin...
 "Non mais t'as fini tes âneries, oui, c'est un vieil immeuble, avec plein de bruits dedans, et là je suppose que le chauffe-eau fera du bruit jusqu'à ce qu'il soit froid..."
 "mais j'ai PEUR, Titile..." elle tremble de tous ses membres
 "y'a pas de raisons..." fais-je en essayant de la rassurer du mieux que je peux.

Elle se met sur le dos et me fait
 "et là, le kimono, il me fait peur, aussi! il est très menaçant!
Ici il faut que j'explique qu'au pied de mon lit, dans ma petite chambre, est plaqué, en croix contre le mur, un très beau kimono rouge que mon père m'a fait (genre, de ses mains à lui) pour mes 25 ans.
 "Je te vois venir. Il est HORS de question que je touche à ce kimono!"
 "bouhou"
 "Si j'y touche je risque de faire du bruit et la vieille du dessous va m'engueuler"
 "snirf"

15 minutes de négociations, entrecoupées de konTINGpan variés.
Je retire le kimono à grand peine. La vieille ne me le pardonnera jamais.

Je me recouche avec elle en espérant qu'elle finisse par s'endormir.
3 minutes.
 "Titile..."
 "OUI"
 "ton placard, il est... entrouvert... j'ai peur..."
 "oui, il est entrouvert parce qu'il est trop petit pour les draps propres qui sont tout au dessus..."
 "..."
 "Non, je n'irai pas chercher la chaise pour retirer les draps propres..."
 12 secondes
 "Titiiiile..."
 "je pense que tu me fais un peu chier, là, mais bon, c'est pas moi qui bosse demain, non plus..." dis-je en essayant de garder mon calme.
Les draps enfin planqués ailleurs (j'ai mis 5 minutes à trouver une autre place), sans parler du bruit de la chaise pour la vieille du dessous, je me recouchai enfin avec Hildegarde qui ne put plus rien dire. Le démon-chauffe-eau semblait s'être tu, en plus.


14 minutes et 26 secondes s'écoulent et soudain, dans la chambre et le studio et l'immeuble voire dans Paris tout entier résonne d'une force qui pourrait être qualifiée de démentielle un son informatique (vous savez, typé mac) provenant de mon ordinateur éteint et que je connais bien. Mais Hildegarde, elle, non.
 "AAAAAH! C'EST QUOI, CA! TON ORDINATEUR? MAIS IL EST ETEINT!" hurle-t-elle
 "Non, il est pas éteint, il est en veille, et ça, je suis désolé, j'aurais dû y penser, ça doit être un téléchargement très long qui vient de se terminer! Alors dors!" J'étais avant tout rassuré d'emblée à l'idée que tous mes téléchargements étaient sûrs, étant donné que mon addiction au parties professionnelles (ou amateur) de belotte ne se fait qu'en streaming. Quelle merveilleuse invention que le streaming et le haut-débit.
 "Snif, prouve-le alors" chouine-t-elle
 En râlant toujours plus je prends la souris et lui montre les épisodes de Suzumiya Haruhi que j'ai ENFIN pu récupérer mais qui sont sous-titrés en... thai? J'ai fait fort, là... tu m'étonnes que ça ait pris une plombe et que je les ai oubliés, ces machins...

Pour résumer, Hildegarde fut suffisament bouleversée pour me faire... suer jusqu'au petit matin, ou elle continua à trembler et à sursauter parce que, MON DIEU, y'a des humains dans le bâtiment où j'habite, et qu'ils prennent leur douche (chose sur laquelle je vais devoir faire une croix, au moins pour quelques heures) ou vont aux toilettes et qu'une chasse d'eau ça peut s'entendre.

Vers 8 heures, au moment précis où j'arrivais à trouver le sommeil, elle me réveilla, plutôt souriante, pour me dire qu'il fallait qu'elle aille au travail. Elle retira le TShirt trop grand que je lui avais passé, et toute nue dessous, je me dis que cette nuit horrible aura au moins eu le mérite de me faire contempler une poitrine parfaite. Elle enfila sa fidèle culotte de rechange, rose en coton toute simple comme je les aime, remis sa robe et sans m'embrasser me fit au revoir de la main avant de vite mettre les bouts. Je ne sais plus à quoi j'ai pensé au moment de fermer la porte de mon appartement: "est-ce que je la reverrai", ou "est-ce qu'elle travaille dans le genre d'endroit où ça jase quand une femme ne s'est pas changée par rapport à la veille?"
Le démon du chauffe-eau me répondit aussi sec par un

TAKLAN



Voilà, certaines et certains auront peut-être remarqué que cet article n'est pas écrit en italique. Ainsi, vous pourrez considérer que, comme le paranormal toute cette (longue et stérile?) histoire est fausse. Sauf le film que je suis allé voir à Opéra mardi soir. Sauf la voisine du dessous qui est un peu relou. Sauf mon placard qui est trop petit pour les draps. Sauf la salle de bains (et tout le reste) super crade. Sauf le magnifique kimono de mon poute. Sauf ma soeur chérie qui m'a foutu la honte au cinéma il y a 10 ans maintenant. Sauf mon ordi magique. Sauf mon radio-réveil de la mort qui tue. Sauf les bières qu'il faut toujours avoir dans son frigo. Et surtout, sauf ce fichu chauffe-eau qui fait taklan taklan quand l'envie lui prend.
Et Hildegarde ou Brünehilde, me direz-vous (évidemment, tsss...)? Eh bien, comme je n'aime pas mentir, mais que je sais préserver ma vie privée (oui, titile) je vais laisser à ceux qui me connaissent le soin de ne pas imaginer, parce que ce serait inconvenant. Aux autres, le loisir de s'amuser avec cette euh... autofiction? (beurkbeurkbeurk) que j'ai eu plaisir à écrire, tellement rapidement que je m'en impressionne. Non, ce n'est pas du tout signe de qualité, au contraire, et oui, ça peut paraître bâclé, mais à côté des phrases de "nous sommes des monstres" ou "ishijima" sur lesquelles je reste bloqué pendant des années, je vous jure que ça me fait du bien. Au moins à moi, ça fait du bien.
Désolé si ça vous est désagréable. Je le comprendrais, en fait... Et ne referai l'expérience qu'exceptionnellement, rassurez-vous.

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9 décembre 2009 3 09 /12 /décembre /2009 01:21

Oui, bien que ce ne soit absolument pas le but premier de mon blog, je crois que de temps en temps il faut, en tant que citoyen, s'exprimer sur ce qui se passe dans son propre pays. Profitons-en tant qu'il est en est encore temps. Le faire par écrit est évidemment un plus, car tout le monde sait ce que ça implique par rapport à des paroles dont personne pourra certifier l'exactitude plus tard.

Oui, au milieu de mes feuilletons ou autres notes de plus ou moins d'interêt, je tiens à rendre hommage à ce grand homme qu'est Eric Besson, ainsi qu'à tout le gouvernement dont il fait partie, sans oublier notre nabot préféré. Eric Besson, un grand homme, plein de savoir, de vertu, de compassion et de désintéressement, un homme prêt à tout pour ses amis, sans aucune arrière-pensée, jamais. Un homme plein de compassion, oui, courageux et intègre, toujours prêt à aller se confronter aux problèmes, et regarder dans les yeux les gens qu'il insulte. Un homme dont la bonté dépasse les frontières, c'est le cas de le dire, un homme qui, débordant de bonne foi, n'a jamais cédé à la facilité de s'enfermer dans les idées reçues pour prôner une soi-disant mise à mort de la bien-pensance. Un homme, surtout, qui sait s'entourer des bonnes personnes, et les récompenser de leur fidélité. Un homme de tout temps fidèle à ses idéaux de justice, d'égalité entre les hommes. Un homme pour le partage des richesses et l'équité de traitement entre tous les êtres humains. Un homme qui n'a jamais cherché à faire parler de lui par plaisir de faire parler de lui. Un homme, encore, qui sait poser les bonnes questions à son peuple, au bon moment. Un homme qui a de l'initiative, et de l'indépendance...

Bon, je fais caca ou tout le monde a compris? Ce type est une ordure, une vraie raclure de chiottes. Pardon pour la vulgarité constructive, mais depuis des mois je me retiens. Les politiques me débectent. Tous. Mais j'arrive à peu près à trouver des circonstances atténuantes à presque tous, et toutes. Pas à lui. Hortefeux a pour lui d'être resté aux côtés du nabot depuis le début. Fillon doit être pardonné, le pauvre, d'être aussi imberbe psychiquement. Frédéric Lefebvre me fait rire de pitié. Tous les ministres de l'éducation nationale peuvent être taxés d'immobilisme, avec en face d'eux l'un des milieux les plus immobilistes qui soient.
On arrive bien à retirer les cours d'histoire-géographie. Alors je suppose que dans quelques décennies Eric Besson, le nabot et toute sa clique pourront passer pour des grands hommes, oui. Mais j'espère sincèrement être mort avant de devoir passer par une avenue Nicolas Sarkozy ou une rue Eric Besson. Déjà que j'ai un mal fou à m'arrêter en métro à Bibliothèque François-Mitterrand...

On me criera dessus: c'est facile de taper sur les politiciens. Bien sûr, c'est facile. C'est tellement facile que tout le monde le fait, et se plaint, et quand parfois on sort gueuler dans la rue le nabot nous explique, tout fier qu'il nous entend mais qu'il n'en tiendra pas compte. Bien sûr, il a été élu, en partie à cause d'un machisme latent chez l'ensemble des Français et des Françaises également. N'allez pas croire que je sois un fan de Ségolène Royal. Loin de là. J'ai entendu et lu des témoignages de première main racontant qu'elle est insupportable de pédance. Comme toutes les "personnalités" de gauche, en fait. Jospin s'est lamentablement planté en 2002. Pour cette raison précise, et d'autres. La France n'a jamais eu la gauche qu'elle méritait. Elle ne l'a tellement pas, que quand le Vieux a claqué, elle s'est retrouvé à poil. Je m'en souviens bien. Et je n'étais pas du tout aigri à l'époque. J'aurais difficilement pu passer pour un aigri, je ne restais qu'un gamin qui ne connaissait rien d'autre, né l'année où le Vieux a été élu, pile un mois avant la promulgation de l'abolition de la peine de mort, et fier de l'être. Non, les politiques ne méritent plus leur place. Députés comme ministres ou sénateurs, ils sont tous dépassés, avares et accrochés à leurs multiples sièges comme une moule à son rocher.
Clémenceau disait que la guerre est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux militaires. Je pense que je ne serai pas le premier à dire que la république est une affaire bien trop sérieuse pour être laissée aux mains des politques.

Un jour, je me demandais, et demandais à ma mère, avec qui j'étais, pour une fois, ce qui selon elle, a changé en politique depuis la fin de la guerre. Elle m'a dit que pour elle, ce qui a fini d'achever la confiance du peuple, c'est le sens de l'honneur que tous les politiciens ont perdu. Car jusque dans les années 70, avant Giscard et Mitterrand et la politique spectacle, on peut considérer que les hommes politiques savait se tenir à une certaine éthique. De Gaulle, après 68, savait que les Français en a avaient assez de lui. Il était malade, et est parti On peut lui reprocher plein de choses mais jamais de s'être imposé à son peuple. Il avait prévenu que le référendum de 69 reviendrait à lui demander si on voulait qu'il démissionne ou non. Il a fait ce que les Français ont dit. Il a fait ce qu'il a dit. Point barre.

Le nabot ou Eric Besson et toute l'ordure traitresse qui les entoure n'arriveront jamais à la cheville, non pas de l'homme, car je n'ai pas plus d'admiration que ça pour le général, mais plutôt de l'idéal d'honnêté intellectuelle et de justice sociale dont le monde entier a plus que jamais besoin.

On me dira que je suis exigeant. Que ça a toujours été comme ça. Mais au XXIème siècle je pense qu'il faut juste se poser la question de savoir pourquoi tout devrait rester "comme ça" jusqu'au XXIIème ou XXIIIème, si la planète tient le coup. Oui, il est plus que jamais temps d'en demander trop aux politiques. Les députés doivent être plus présents, avec plus de pouvoir, ne jamais cumuler leur mandat, quitte à être un peu plus rémunéré dans leur tâche nationale. Pareil pour les sénateurs et les ministres. Notre pays (je dis notre non pas par fierté, mais par désir d'appartenance, me disant que très peu d'étrangers doivent lire mon blog aujourd'hui) a besoin d'une Assemblée Nationale forte comme jamais, au lieu d'avoir une sorte d'empereur tout pourri à sa tête, devant qui la non moins pourrie "union pour la majorité présidentielle" tremble à la moindre incartade. Sera-t-il utile de préciser qu'il ne doit PAS y avoir de majorité dite "présidentielle"? Que le président de la République reste le président de TOUS les Français? Combien d'années faudra-t-il pour que le nabot et sa cour des miracles soit mis réellement en face de leurs responsabilités,  de leurs promesses ou autres grands discours nauséabonds?

Mais les députés sont des lâches cupides. Ils ne pourront jamais voter des lois qui iraient contre leurs interêts. Et la majorité encore moins contre le nabot et ses successeurs, de droite comme de gauche. Facile, ce que je dis? Poujadiste? J'assume, de mon côté. Que nos dirigeants fassent leur boulot, déjà. C'est plus réalisable, non? Non? Sincèrement? Bon eh bien qu'avons-nous à faire dans ce monde, alors?
 
Bref, vive Eric Besson.
Vive la pourriture que j'affectionne tant. Vive le débat sur l'identité nationale. Ce sont des questions absolument essentielles qu'il faut se poser aujourd'hui, au moment où tout le monde a les yeux rivés sur Copenhage, sans trop d'espoir. Chez Yann Barthès, j'avais vu et entendu un homme âgé dire avec plein d'élégance et d'humour "je suis Français parce que je vous emmerde". On ne pourrait mieux résumer ma pensée.

Pour celles et ceux pour qui cette note paraîtrait mauvaise et sans fondement, je leur réponds qu'elle a été écrite d'une "traître".

Je me rappelle que le 1er mai 2002, accoudé à la barrière d'un balcon, aujourd'hui condamné, à droite des marches de l'opéra Bastille j'avais osé rêver, un moment, juste un instant, à un renouveau citoyen né de la fange. Je m'en veux beaucoup de ma naïveté. Mais, que voulez-vous, j'avais 20 ans, j'étais déjà bien fatigué, alors on me pardonnera mes égarements...

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8 décembre 2009 2 08 /12 /décembre /2009 02:19

edit 15/12/09: correction de ratures oubliées sur certaines phrases
(résumé de situation: l'héroïne vient d'entrer au "Chien Qui Bande")


et ne fus pas déçue. Autant la façade n’avait rien de particulier sinon le nom bien en évidence – mais en même temps, je doute qu’il eût été de très bon goût de mettre par exemple une statue de caniche ou de saint-bernard en érection à côté de la porte – autant l’intérieur possédait une âme indescriptible qui vous prenait dans l’instant, rococo kitsch ou kitsch rococo assumé d’une époque pour le moins incertaine, bordélique mais propre, colorée à l’extrême, ridicule et pourtant touchante. Rococo ou kitsch ne sont d’ailleurs peut-être pas les meilleurs qualificatifs, car nombre d’éléments du décor ne correspondait pas à ces très strictes appellations. Comme l’énorme – et le mot reste faible – boule toute ronde de – fausse - fourrure rose posée – suspendue ? - juste à côté du comptoir dont la taille en faisait la chose qu’on pouvait pas louper en entrant, et qui ne semblait qu’attendre qu’on se jette dessus pour la caresser, tout en ayant l’air d’avoir déjà pas mal souffert des sauts et des multiples cajoleries de la clientèle. En oubliant deux secondes la boule, qui m’a traumatisée à vie je l’avoue, je dirais que c’était le mélange voire le choc entre des influences (trop) diverses qui pouvait passer pour ringard, mais ringardise volontaire, donc « kitsch », au sens le plus basique du terme, sans vouloir entrer dans les détails. En guise de comparaison rapide, imaginez une armoire normande au beau milieu d’un monastère tibétain ou d’un igloo et vous aurez à peu près saisi ce que j’essaye tant bien que mal de situer en quelques mots. En gros donc je dirais qu’il était impossible que ce vivier laisse indifférent et qu’en ce qui me concernait, en complète contradiction avec mes goûts d’habitude plutôt sobres, je me sentais bien « Au Chien qui Bande ». La musique était cela va de soi à l’image de tout le reste, ultra-variée à la limite du n’importe quoi. À mon entrée je crus reconnaître la fin d’un concerto brandebourgeois de Bach, auquel succédèrent d’impressionnants breaks de batterie et des hurlements que j’identifiais comme ceux de Dillinger Escape Plan (sic, pour tous ceux qui connaissent) pour ensuite partir sur le fameux thème principal de ce film d’animation, Ghost in the Shell. La transition n’est pas mauvaise et vous verrez pourquoi bientôt. Entretemps je m’étais assise dans un coin tranquille – il y avait une douzaine de clients, tous de mon âge - sur un des poufs disponibles, car il y avait le choix entre des fauteuils au style allant de Louis XV jusqu’aux années 60-7O et donc des poufs rétro-futuristes assez craquants dans l’un desquels je m’enfonçai sans hésiter, avec un soupir comblé, adossée au mur moelleux d’un moelleux inédit pour moi, en attendant qu’on vienne me servir. Et c’est à ce moment que les vocalises Shintô fondirent doucement dans l’ambiance pour laisser apparaître quelqu’un qui allait jouer un très grand rôle dans ma vie.

   La première impression qu’elle me donna quand je la vis arriver me fait aujourd’hui honte. Je la trouvai « moche ». Je regardais depuis longtemps beaucoup de films asiatiques et elle n’avait selon moi rien à voir avec les beautés chinoises ou coréennes sur lesquelles fantasmaient certaines de mes connaissances. Très pâle, mais d’une pâleur plus maladive qu’élégante ; grande, à vue de nez presque ma taille, mais cela lui donnait un air un peu dégingandé voire maladroit ; et un sourire franc qui aurait pu être mignon si les dents étaient un peu plus droites. En plus de ça sa tenue banale s’accordait mal avec le reste. Si vous saviez comme je m’en veux depuis, j’avais rien compris. Je lui en ai jamais parlé après, je pensais que c’était inutile. Car ma deuxième impression qu’elle me transmit quand elle s’approcha de moi pour prendre ma commande me fait aujourd’hui monter les larmes aux yeux. Je réalisai soudain qu’elle sentait extraordinairement bon, d’un parfum qui volait bien au-dessus de tout le reste, que ce soit dans la salle ou dans la ville, un parfum naturel qu’elle dégageait tout autour d’elle sans le savoir. Malgré la chaleur et la fatigue qu’impliquait son métier, elle était impeccable, habillée de façon trop commune, mais impeccable. Je l’en admirai presque, quand elle me salua poliment – bonjour mademoiselle, vous êtes bien installée ? pardonnez-moi pour l’attente, voilà la carte… c’est beaucoup de nos jours - puis me demanda de sa jolie voix un peu enrouée et plus grave que ce à quoi je m’attendais ce qui me ferait plaisir. Je notai de suite un petit accent dont je ne parvins pas à déterminer la provenance.
 « Mmm… Je sais pas vraiment. Je sais même pas si j’ai très envie d’alcool… Vous avez un cocktail maison ? » questionné-je, les yeux rivés sur la carte poilue (drôle de sensation, une carte poilue, croyez-moi), avant de les lever sur elle, gentiment perplexe.
 « Euh, en fait, pas vraiment, ça change tous les jours, ici… à chaque fois, même… » répond-elle.
 « Ah bon ? Comment ça ? »
 « En fait, le patron, c’est un… artiste, il n’aime… pas les conventions. » continue-t-elle, cherchant un peu ses mots.
 « Je vois… en même temps, vu l’endroit, c’est pas étonnant ! »
 « Exactement ! »
 « Bon, euh… en fait je préférerais un chocolat chaud, pour l’instant, je peux ? » fais-je en souriant.
 « Bien sûr, pas de problème, vous êtes libre ! Il est très bon, en plus, vous verrez, tellement que le patron refuse de donner le nom de son fournisseur… » explique-t-elle en souriant en retour, la main devant la bouche.
 « Ah oui ? »
 « Je vous jure ! Il faut pas… croire qu’on boit que de l’alcool, ici, vous savez… On sait… varier les plaisirs. »
 « Comme pour la musique et la déco, alors… » ajouté-je.
 « Exactement ! Vous comprenez vite, mademoiselle ! » rit-elle. 
 « Bon, ben je vais prendre un chocolat chaud, alors, s’il vous plaît, et merci je vais prendre aussi le reste comme un compliment. »
 « Je vous apporte ça tout de suite, et le reste était… bien un compliment. » conclut-elle avec gentillesse.

   Dans la vie il est de ces rencontres que j’aurais voulu étirer dilater – jamais aimé ce mot, pourtant – allonger ou prolonger faire régner je me remémore les impossibilités qui gouvernaient nos existences

   Elle s’inclina légèrement sans se départir de son sourire et se rendit au bar où un homme que j’identifiais comme le patron était en train de discuter avec un couple de clients. Il avait une quarantaine d’années, assez mince, l’air plutôt bien conservé pour un gérant de bar, et était vêtu d’un smoking pour ainsi dire passé qui lui donnait une allure un peu désuète, voire démodée, mais surtout très drôle. Entre deux rires il prenait le temps de choisir et de lancer les disques lui-même. Il mit les Marquises de Jacques Brel puis se pencha sur ma serveuse en train de préparer mon chocolat, sûrement pour lui dire quelque chose d’amusant, parce qu’elle rit une fois de plus, toujours en se mettant la main devant la bouche, comme par réflexe, puis revint m’apporter ma tasse sur ce qui me sembla de loin être un plateau à fromage, et qui de près s’avéra bien être un plateau à fromage. Propre, bien entendu – était-ce si évident ? - et débarrassé de sa cloche. Elle s’inclina – voilà votre chocolat, mademoiselle -  me le posa doucement avec l’addition sur la table recouverte au bord d’un duvet synthétique bizarre mais très doux au toucher que je m’étais mise à caresser sans m’en rendre compte. Je la remerciai avec un grand sourire, déjà conquise. Elle s’en retourna vers le bar, et alors que je commençai à siroter mon chocolat chaud – délicieux mais cela ne m’étonna pas outre mesure – et à observer ma tasse avec attention – je me demandai un instant si ce drôle d’objet orange et vert, boursouflé et cabossé, ne venait pas d’Amérique du Sud - je me rendis compte qu’il y avait une foule de question que j’aurais voulu lui poser mais que j’étais pour le moins peu sûre d’avoir le « courage » de lui poser. Le lieu s’y prêtait, pourtant, il le méritait. Trop d’ailleurs, peut-être, on devait trop leur poser de questions sur la déco, la musique, les sources d’inspiration qu’ils ont clairement asséchées pour mettre en forme ce joyeux bazar, ça devait finir par les ennuyer, et puis elle de son côté n’y était probablement pas pour grand chose. Il n’empêche que je n’avais pas envie d’en rester là. Le Grand Jacques se tut et fut remplacé par Chet Baker, je crois, sans confirmer parce que je ne m’y connais pas vraiment en jazz.

   Dans la vie il est de ces heures qu’on regrette qui nous poursuivent j’avais tellement peur d’oublier et pourtant Jürgen n’existerait déjà plus ?

   Lorsque j’eus fini mon chocolat se posa une fois de plus la question envers laquelle j’ai déjà expliqué que je cultivais une haine sincère : que faire ? Cela m’aurait d’ailleurs amusée que le patron nous passe la chanson de Bécaud. Bien entendu – mais était-ce si évident ? - il n’en fit rien. Après Chet Baker il sembla hésiter un petit instant et se décida pour les Beatles et leur I am the walrus juste avant que le silence ne tombe, comme il aurait attrapé une bouée de sauvetage. Et c’est d’ailleurs bien la raison pour laquelle je n’aimais pas trop les Beatles. Au fil des décennies c’est précisement ce qu’ils étaient devenus : une bouée de secours pour les musiciens et les programmateurs en manque d’inspiration. Et puis je supportais plus Paul McCartney. En dépit de cela, je n’avais aucune raison d’en vouloir au patron, ou d’être déçue, car il serait de mauvaise foi de dire qu’I am the walrus n’est plus une chanson agréable à écouter, déjà parce que c’est loin d’être celle qu’on entendais le plus à la radio à l’époque, ensuite parce qu’elle est bruyante, et que personnellement, je reste fondamentalement assez « bruitiste » dans mes goûts musicaux. Je n’en ai pas honte mais ne le crie pas sur tous les toits non plus.

   Dans la vie il est de ces décisions douloureuses mais mûrement réfléchies on se dit je me dis que je qu’on ferait mieux de tout abandonner parce qu’on parce que je réalise que l’oubli est au-delà de l’idée même de merde des fois, c’est juste que je sais plus qui je suis pour qui et pourquoi j’écris
avec un essai ordurier comme unique commanditaire influence à cause de ces quelques pages pourries puantes d’un orgueil frustré et la furieuse sensation de rage dégoût gerbe il faut écrire comme tu gerbes après tu jartes tu vires brûles l’essentiel plus le superflu qui va avec qui nous envahit quand on se dit que le fil à couper le beurre après tout c’est pas si mal pensé

   J’attendis un moment sans rien faire puis me dis que si je devais tenter une approche je ferais mieux de me bouger et d’aller payer directement au comptoir. M’exécutai avec le plus d’assurance possible tandis que la chanson finissait, et que mon occasion se préparait à se présenter plus tôt que prévu. M’approchai donc et entendis le patron lancer à la serveuse « Tiens, tu vas me dire ce que c’est, ça » au moment de lancer la lecture du CD qu’il venait de mettre dans le lecteur en prenant soin d’en dissimuler la jaquette aux yeux de son employée. Résonnèrent alors doucement les accords d’une étrange musique de chambre que je me souvenais avoir déjà entendue plusieurs fois, sans pour autant réussir à me rappeler dans l’instant ce dont il s’agissait exactement. Problème fréquent chez moi et de fait très irritant, je suis assez perfectionniste en matière de mémoire musicale. Et la serveuse dont je voulais devenir l’amie – il paraît que la franchise paye, en écriture – semblait encore plus perplexe que moi.
 « Alors, tu connais ? Euh… je crois pas, enfin, je suis pas sûre… Ha haa, tu sèches, donc ! Euh je sais pas ce que ça veut… dire mais on va dire que oui, je… saiche complètement ! Je t’ai déjà dit que t’écoutes pas assez de classique, ma belle ! C’est pas si compliqué que ça en plus ! - la rappelle-t-il à l’ordre d’un ton gentiment ironique – Et vous, mademoiselle, vous savez de qui c’est ? – me demande-t-il en se tournant presque brusquement de mon côté – En fait je suis en train d’essayer de m’en souvenir – réponds-je avec un sourire crispé par son envie d’être détendu sans se montrer surpris – Hé hé vous voulez un indice ? Oh, vous êtes méchant, vous m’en donnez jamais, à moi ! – proteste faussement la serveuse avant de se tourner vers moi à son tour – Allez- y, c’est une vraie faveur qu’il vous fait ! Non merci, c’est gentil, mais laissez-moi réfléchir deux secondes, je pense que je peux trouver seule, je suis à fond, là – réponds-je en riant. Ils me fixent tous les deux avec des yeux ronds – Comment ? Mais en voilà une petite prétentieuse ! – plaisante le patron, suivi par l’approbation amusée de la jeune femme – Vous avez pas intérêt à vous tromper si vous ne voulez pas vous ridiculiser ! Puisque je vous dis que je sais ce que c’est, monsieur ! Laissez-moi deux secondes… » Ils avaient beau plaisanter, j’avais beau en rajouter, je comptais bien m’en sortir avec les honneurs. Je fouillai méthodiquement dans ma mémoire l’ensemble de la musique de chambre que j’avais écouté. Déjà il s’agissait du XXème siècle, sans aucun doute, car la combinaison des instruments n’était pas vraiment celle d’une pièce classique.
 « Y’a un piano, un violon, une… clarinette, c’est ça ? Je croyais que vous vouliez pas d’indice ! - ricane le patron – C’est vrai, c’est vrai, mais je demande pas d’indice, juste une petite confirmation… Laissez tomber, vous allez voir ce que vous allez voir. Avec un alto… non, avec un… violoncelle super aigu ! C’est ça, je me souviens, c’est… raah ce compositeur français qui a été déporté en Sibérie… Je connais l’histoire, bon sang de bonsoir, c’est ça, c’est cette pièce a été écrite dans un goulag, c’est… - Silence concentré, un peu agacé, aussi. Les deux autres sont suspendus à mes lèvres. Puis délivrance joyeuse – Ca y est ! Messiaen ! C’est le « Quatuor pour la fin du Temps » ! Je me trompe ? »

   Je ne sais ce qu’il serait advenu de mon été si je n’avais pas trouvé la bonne réponse. En tout cas, tout cela a fait son petit effet. J’étais je l’avoue assez contente de moi. Hé bé, bravo ! Je pensais pas que vous connaitriez vraiment, siffla le patron, assez admiratif. Les jeunes ne connaissent plus le classique, de nos jours... Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? je vous l’offre ! Oh merci, c’est pas la peine ! Allez, faites pas votre timide, un petit whisky, ça vous dit ? Euh… si vous le proposez si gentiment… Sec ? Oui, merci, avec des glaçons. Il me le versa dans l’instant puis je vous laisse entre filles j’ai des clients qui me demandent, Miki, c’est assez calme ce soir, tu pourras partir en avance si tu veux, je me débrouillerai avec Liam. Merci, patron, mais j’ai rien de particulier à… faire et puis… euh je crois que je vais rester encore un moment. Entendu, tu fais comme tu le sens et il rejoignit les deux clients assis à l’autre bout du comptoir. Ainsi me retrouvai-je plus ou moins seule avec la jeune femme.
 « Tu t’appelles Miki, alors, c’est ça ? C’est super mignon, comme prénom. »
 « Merci, je l’aime bien aussi. » elle tire un paquet de cigarettes de la poche de sa chemisette, l’ouvre et en porte une à sa bouche.
 « C’est… japonais, non ? » tenté-je, pas tout à faire sûre de moi. Son sourire me rassura immédiatement.
 « Avec le patron, tu es la première dans cette ville à ne pas t’être trompée. Ca… fait plaisir, on peut dire. » fait-elle en allumant, économe de mots, visiblement pour ne pas se tromper elle-même en français.
 « C’est parce que je connais pas mal les jeux vidéo et les manga. Tu connais Marmalade Boy ? Non ? En tout cas, t’as le même prénom que l’héroïne. » expliqué-je en plaisantant. Elle éclate de rire, une main devant la bouche, et la cigarette dans l’autre.
 « Tout… s’explique, alors. Tu fumes, au fait ? »
 « Non merci. Et tu viens d’où, exactement ? » continue-je
 « Euh, du Japon… ? » répond-elle, l’air de ne pas avoir compris le sens de ma question.
 « Ca j’avais compris, ce que je te demande c’est d’où tu viens au Japon, de quelle ville ? » elle me regarde dans les yeux, un peu interloquée, puis sourit.
 « Tu es… très curieuse, comme fille, tu sais… » observe-t-elle.
 « Bah, c’est la question qu’on se pose immanquablement, entre Français, quand on se rencontre à l’étranger, alors je suppose que les Japonais font pareil entre eux… » expliqué-je.
 « Tu es gentille et... tu as raison. Si tu allais au Japon je... suppose qu’on te poserai vite... la même question. Moi, mon père est originaire de Kyoto et ma mère de Hiroshima, où je suis… née mais ils ont déménagé juste après ma… naissance pour aller s’installer à Sendai. Et donc c’est… à Sendai que j’ai passé mon enfance, et… mon adolescence. »
 « Sendai… » répété-je, perplexe.
 « Tu as… jamais vu ce nom dans un manga ? »
 « Ben, en fait, non… » dis-je. Elle rit à nouveau en me voyant gênée, toujours la main devant la bouche.
 « C’est pas grave, t’en… fais pas ! C’est à environ 200 kilomètres au nord de Tokyo. »
 « Et y’a combien d’habitants ? »
 « 1 million, à peu près… »
 « Ah, quand même… » lâchai-je, surprise. Miki rit de plus belle, sans pouvoir cette fois se cacher parce qu’elle se brûlerait la main avec la cigarette sur laquelle elle est en train de tirer avec une certaine avidité.
 « Eh oui, par… rapport à ici, ça… fait beaucoup, mais là-bas, c’est plutôt une ville… moyenne. »
 « C’est vrai, on se rend pas bien compte. Et euh… désolée de t’embêter avec mes questions, mais ça fait combien de temps que tu vis ici ? »
 « Ici ? Euh, un peu plus de 3 ans maintenant – réfléchit-elle avant d’ajouter – mais j’ai aussi… vécu 5 ans à Rennes. »
 « 8 ans en tout que t’es partie, donc, c’est pour ça que tu parles aussi bien. »
 « Merci, je fais des… efforts tous les jours depuis mon arrivée mais… il y a toujours des choses, des expressions ou des mots qui… m’échappent. C’est comme mon accent, j’arrive pas à m’en… débarrasser. » explique-t-elle
 « C’est rien, tu sais, ton accent il est très faible, ça te donne du charme, je trouve. »
 « Merci, t’es vraiment gentille. Mon copain il se feut… se fout de moi, alors quelque…fois j’en ai marre, tu comprends ? »
 « Je comprends. » réponds-je laconiquement sans savoir si elle tient à ce qu’on poursuive sur le sujet. S’ensuit un court silence de réflexion partagée.
 « Et toi, tu as quelqu’un? » me demande-t-elle soudain.
 « Non… » fais-je, cherchant à éluder.
 « Pourtant, tu as fait l’ameur la nuit dernière. » dit-elle d’un ton neutre à la limite du hiératique. J’avale mon whisky de travers et tousse bruyamment.
 « Hein ? Mais… mais… »
 « Pourquoi t’es gênée ? » demande-t-elle, calme, jouant la naïve.
 « Je suis pas… gênée, mais… comment tu sais ? »
 « Je sais. C’est tout. »
 « Comment ça c’est tout ?! »
 « Ban oui… c’est tout. Tu as… baisé, pardon, fait l’a...mour toute la nuit mais tu dis que tu n’as pas de copain. Ne t’inquiète pas, je… juge pas, je… constate - explique-t-elle en souriant, toute franchise en dehors – tu m’en veux pas, j’espère. » finit-elle, sincère donc, à attendre ma réaction.
 « Non, du tout – c’est vrai, je suis trop surprise et curieuse pour ça – c’est juste que je demande comment tu sais. »
 « Je te raconterai plus tard, peut-être » malicieuse
 « Et si je veux savoir maintenant ? » déterminée
 « Eh bien tant… pis pour toi ! » incorruptible

   Alors voilà ce que c’est qu’une rencontre inattendue sans aucun doute elle m’intriguait et il est possible que mon écriture ne parvienne à retranscrire mes impressions. J’abrège je coupe j’élague j’élude toujours avec constance descriptions réduites aux strict minimum minimum à balancer avec le reste car dans la vie il est malgré tout de ces rencontres salvatrices que rien ne remplace et ne jamais chercher la beauté du geste la beauté du ton ou la classe ou l’éloquence ou l’attention

   Miki m’intriguait. C’est le moins que je puisse écrire ici. Elle m’intéressait. Une Japonaise atterrie dans notre ville il y a 3 ans pour des raisons que j’ignorais encore, qui travaillait dans un bar qui s’appelait « Au Chien Qui Bande » - avec les majuscules - et savait que j’avais fait l’amour la nuit d’avant. Avec cela je le répète même si c’est un peu embarrassant, qui sentait extraordinairement bon, malgré les effluves de cigarette, et j’ajouterais, les vapeurs d’alcool si ça sonnait pas si zolien. C’était impressionnant. Elle volait très haut au-dessus de nous. Je trouvais cela suffisant pour m’auto-légitimer le fait de vouloir en savoir plus sur elle. Malheureusement les questions originales ou intelligentes ne poussent pas sur les arbres. Ce qui ne m’empêcha pourtant pas d’insister, après une bonne minute de silence réflexif, qui me rappela Sylvain puis surtout Jürgen.
 « Et tu travailles ici depuis longtemps ? » tenace mais digne
 « Depuis que je suis arrivée, en fait… » songeuse
 « Tu te plais, ici, alors… » inutile
 « Effectivement – articule-t-elle avec élégance – le patron est un ange, comparés à d’autres, alors je ne vois pas de raison de… changer pour l’instant. »
 « C’est sûr » un peu envieuse
 « … » patiente
 « Tu veux pas me dire, alors ? » fixette
 « Te dire quoi ? » souriante les yeux ailleurs
 « Allez, arrête de te moquer de moi, tu sais bien ! »
 « Non je sais plus… » franche ses yeux revenus dans les miens
 « C’était à propos d’hier soir ! »
 « Hier soir… » concentrée
 « … »
 « Ah oui, tu voux savoir… comment je sais que tu as fait… l’amour plein de fois… c’est ça ? »
 « Disons que ça m’intéresse » convaincue
 « Pourquoi ? »
 « Pourquoi ?!? »
 « Oui, pourquoi, je veux dire, ça… t’apportera quoi de savoir ? »
 « Euh… J’en sais rien, en fait. » prise au dépourvu
 « Alors, tu vois bien… » gagnante
 « Mais c’est quand même ma vie privée ! » inattaquable
 « C’est vrai c’est vrai… mais je t’ai dit de ne pas t’en faire je suis… une tombe » amusée par l’expression
 « Je m’en fiche que tu sois une tombe ! Je veux savoir, j’insiste ! Je veux dire que si tu voulais pas que je te prenne la tête avec ça, t’aurais mieux fait de ne pas évoquer le sujet ! » imparable
 « C’est vrai j’ai eu tort, je me suis… laissée aller parce que tu es sympa – pause pour écraser la cigarette – bon, tu me laisseras jamais tranquille alors je vais… t’expliquer rapidement… ça te va ? »
 « Oui, merci je savais que ça paye toujours d’insister ! » satisfaite
 « Bon comment… dire je crois que j’ai… non… je ne vais pas… commencer par là… - elle réfléchit – Je pense, je suppose que tu… sais que chaque être… humain possède sa propre… odeur originelle, oui, eh bien quand un être humain a des… rapports sexuels, cette odeur originelle est… perturbée par… celle du partenaire. Ou plutôt, elle… change pour… teujeurs, comme une… empreinte pas… fixe. Et cette empreinte est… forte plus les rapports sont… récents et… nombreux. »
 « Et tu peux sentir cette empreinte ? » interloquée
 « Si on veut, mais je viens de le dire, c’est surtout les rapports… récents, les derniers rapports, que j’arrive… à percevoir le mieux. Et dans ton cas, là, c’était… évident. En gros… j’ai juste un très bon… odorat, finalement. Voilà, tu sais… maintenant, t’es contente ? J’en avais jamais parlé avant en français, c’est gênant, en fait… » conclut-elle, toujours avec le sourire.
 « Attends, continue, c’est trop intéressant, ton truc ! Tu veux dire que tu connais la vie intime des gens juste en les approchant, avec les phéromones ? »
 « Euh… pas tout à fait, quand même, et ça n’a… rien à voir avec les phéromones. Tu veux pas qu’on change de sujet ? Pourquoi je te… raconterai ça, à toi que je connais que… depuis quelques minutes ? » franche
 « Mais parce que je suis une tombe aussi, et que ton histoire me passionne !  Et pis si tu m’en as parlé, à moi, une étrangère, comme ça de but en blanc - elle rit à l’expression - c’est que t’en avais besoin, non ? Tu connais Woody Allen ? J’aime pas trop, mais je me rappelle que dans un de ses films, il construisait une machine pour capter les énergies orgasmiques de toute l’humanité… Je trouvais ça assez drôle, mais là, oui, je te le dis, ton histoire à toi me passionne » ris-je
 « Ca te… passionne ? »
 « Oui, y’a un potentiel énorme, c’est un vrai scénario de film, je trouve ! Plus sérieusement, j’imagine que t’es pas ce genre de fille, mais tu sais que tu pourrais faire fortune ? Imagine que des gens te demande « d’enquêter » sur n’importe qui… Evidemment ça sort un peu du rationnel, mais… »
 « J’ai pas envie de faire fortune, et puis je connais les hommes. On me harcèlerait, ou alors je deviendrais complètement seule, parce que les gens auraient trop peur de moi et de ce que je pourrais apprendre sur eux... Je me demande vraiment pourquoi je te parle de ça, j’aurais pas dû. Tu dois être assez spéciale, sûrement… Mais spéciale ou pas, s’il te plaît, garde-le pour toi, je… refuse de devenir une… attraction de foire… » très sérieuse presque triste
 « C’est vrai… pardon, c’est évident que ta vie deviendrait un enfer, comme les télépathes. Tu peux me faire confiance, je te jure que je le garderai pour moi, je n’en parlerai à personne. »
 « Tu sais, en général, je ne fais pas confiance aux inconnus… » claire
 « Ca tombe bien, parce que depuis que tu m’as servie, je pense qu’à devenir ton amie… » sourire franc, aidé par le whisky
 « Mon… amie ?? » estomaquée
 « Ben, oui… ton amie »
 « Euh, ça se décide pas comme ça, non ? Je veux dire t’aurais pas déjà un peu trop bu ? » incrédule
 « Non, j’ai pas trop bu. C’est juste que t’as été franche avec moi, alors faut que je sois franche avec toi. Je veux devenir ton amie. Tu m’intéresses. Tu m’amuses. T’as l’air gentille. Et tes capacités, c’est juste ce qui confirme que t’es vraiment pas quelqu’un comme les autres… »
 « Des fois, tu sais je crois que j’aimerais bien… être comme les autres. » mélancolique
 « Désolée, c’est pas ce que je voulais dire… »
 « C’est rien, c’est pas de ta faute. »

   Le quatuor continue de tourner. La discussion a pris un tour étrange, avant notre silence un de plus le même qu’avec Jürgen ? tour étrange où l’on aura tendance à s’enfermer dès qu’on cherche à sortir des sentiers rebattus et pourtant pourtant dans la vie il est de ces dialogues insignifiants et parfaitement sensés qui vous amènent à vous interroger sur les différentes façons que vous avez eu de vous enfermer dans vos convictions misanthropes dans les répétitions quotidiennes des mêmes gestes des mêmes ulcères face à la décrépitude pourquoi s’enfermer parce que petite survivance pourquoi déblatérer parce besoin pourquoi l’attirance parce qu’exception.

   Je repris la parole après un moment. Cela me sembla encore moins essentiel que le reste, et pourtant. Je me mis à parler du Rien, à poser des questions sur le Tout, à m’interroger sur les vides. Miki acquiesçait, répondait patiemment en fumant ses cigarettes. Elle sentait bon malgré cela, je n’osais lui faire la remarque. Plusieurs fois elle se leva. Pour aller aux toilettes, pour servir les quelques clients qui entraient. Le patron lui jetait de temps en temps des regards un peu étonnés, et continuait à lancer des disques. Janis Joplin, Liszt, Cypress Hill, Cure, Mozart, Purcell, les Doors, Thelonious Monk, le Wu Tang Clan, Jeff Buckley ; le temps passa sans protester. Un couple de clients entra apparemment un peu perdu. Lui, la trentaine passée, très beau, très bien habillé, mais vaniteux et froid comme de l’azote liquide. Elle, le même âge, moins belle, mais plus « électrique » comme dirait l’autre et plus humaine, très bien habillée aussi, robe blanche assez décolletée - seins magnifiques - en soie très simple mais classe, sans manches, avec dessus une petite veste en cuir rouge foncé que je lui aurais bien piqué, plus les chaussures et le sac assorti. On aurait dit qu’elle avait fait un effort pour le dimanche, comme autrefois les jours de messe, sans que cela ne fasse trop voyant. En gros sa tenue me plaisait.

 « Dis, tu pourrais me faire une démonstration ? » lui demandé-je soudain
 « Une… démonstration ?? » incompréhension
 « Oui, une démonstration. Tu vois le couple assis là-bas ? Tu pourrais aller les servir et revenir me dire ce que tu as senti ? »
 « J’ai pas très envie… » résignée d’avance
 « Roooh allez je veux une autre preuve, moi ! » tenace toujours
 « J’aurais pas… dû t’en parler. » confesse-t-elle en souriant à nouveau
 « Te fais pas prier ! »
 « Tu voux que j’y aille ? J’ai fini mon service maintenant, tu sais… »
 « Alors pourquoi tu restes ? »
 « … »
 « Tu vois ? Tu meurs d’envie d’en parler, c’est trop évident ! »
 « Shi tu le dis… » résignée définitivement

   Après hésitations elle se leva et alla prendre la commande du couple. Je la voyais leur sourire, mais pas de la même manière qu’elle me souriait, à moi, eux ne souriant que par résidus. Elle s’attarda peu à leur table, puis revint vers moi, visage relâché. Sans déranger le patron ni m’adresser la parole elle versa deux pressions dans deux verres et repartit de suite les porter aux tires-la-tronche. Je la revoyais leur sourire, puis se retourner vers moi, concentrée relâchée, pensive et se rasseoir à mes côtés, retirer du paquet et rallumer une nouvelle cigarette.

 « Alors ? »
 « … »
 « … ? »
 « Leur situation semble assez… compliquée. »
 « Comment ça, compliquée ? »
 « Il y beaucoup de choses qui se mélangent chez eux, plus ou moins… anciennes. Rien d’étonnant à ce qu’ils… fassent la gueule. »
 « C’est vrai qu’ils ont pas trop l’air jouasse… » fais-je, compatissante.
 « En fait, je pense que chacun d’entre eux a appris… une des infidélités de l’autre, mais… seulement une. Tu comprends ? »
 « Euh… tu veux dire qu’ils savent qu’ils se sont trompés, mais qu’ils savent pas à quel point ? »
 « Entre autres… Tu vois ils ont pas fait… l’amour ensemble depuis des semaines, peut-être des mois mais ils ont… malgré cela une activité sexuelle… normale, je dirais » continue-t-elle
 « Donc il y a quelque chose qui cloche. Mais qu’est-ce que qui te dit que c’est pas une nouvelle rencontre après une rupture ? » j’essaye de la piéger et Miki sourit.
 « Tu sais que c’est la première vraie bonne question que tu me poses ? »
 « Je vais prendre ça comme un compliment… » ris-je, un peu jaune
 « En fait… là, c’est plus une question de… leur attitude – continue-t-elle sans tenir compte de ma remarque – tu vois la gêne… qu’ils montrent n’est pas une gêne… de gens qui se retrouvent après une séparation. Non, ils sont encore ensemble, je… te le dis. Enfin, peut-être plus pour longtemps. »
 « J’imagine… Sinon tu peux me donner des détails ? »
 « Des détails… » souffle-t-elle, sans cesser de sourire.
 « Oui, c’est ce que je te demande depuis tout à l’heure, en fait… »
 « J’avais compris – rit-elle, autour de nous Edith Piaf est sur le point de s’éteindre, le patron retourne vite aux platines en lançant un court regard amusé. Joy Division. Je ne connais pas le titre de la chanson – Bon, des détails… Je peux jamais être… sûre de rien, tu sais, pour les détails je fais que des… suppositions, par rapport à des certitudes, c’est tout. Et là, ma certitude c’est… que les deux ont été infidèles, mais que seule la femme le sait. Je veux dire qu’elle sait qu’il la trompe, qu’il sait qu’elle sait qu’il la trompe mais qu’il… ne sait pas qu’elle le trompe et qu’elle sait qu’il ne sait pas qu’elle le trompe. Je… suis assez claire ? » yeux inquiets
 « Comme de l’eau de roche » réponds-je en souriant
 « Merci tu me rassures. »
 « De rien. Et donc, des deux, c’est elle qui fait semblant d’être mal-à-l’aise ? Elle veut piéger son homme ? Est-ce que c’est son mari, au fait ? »
 « Je pense, oui, ils ont chacun une alliance. »
 « Ils sont peut-être mariés, mais à quelqu’un d’autre, non ? »
 « Si c’était le cas, je… doute qu’ils les garderaient, leurs alliances… » logique
 « Possible, oui. Et sinon, qu’est-ce que tu peux me dire de plus sur eux ? » avide
 « Ca ne te suffit pas ? »
 « Ben, non, en fait… - ris-je – je suis de nature une sale petite curieuse. »
 « Ca se voit – sourit-elle la clope au bec avant de la prendre entre ses doigts trop fins, de la regarder machinalement se consumer et de continuer – Mais je t’ai dit que… tout ça c’était que des suppositions, et que… j’ai pas envie que tu me prennes pour une… voyante ou quelque chose comme ça. »
 « Ben quoi elles sont déjà géniales comme ça tes suppositions, et t’en fais pas je te prends pour rien de particulier. Alors vas-y, continue s’il te plaît. »

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7 décembre 2009 1 07 /12 /décembre /2009 18:45

Bon, voilà la nouvelle en question, vraiment finie à l'arrache. Je croyais avoir plus de temps mais je tiens absolument à respecter les délais que je m'impose. Au pire j'y ferai quelque corrections. Ah, et surtout, j'espère que vous avez noté la nouvelle adresse du site: pourlamaingauche(point)net
Bonne lecture, et encore une fois, soyez indulgents, je n'ai jamais rien écrit aussi vite! C'est un vrai record, une nouvelle quasiment aussi improvisée que mes articles de remplissage...


edit 8/12/09: orthographe et syntaxe




                                                      LA ROBE JAUNE

   Prenez un homme. Physiquement quelconque intellectuellement quelconque. Mettez-le dans une situation pas  complètement extraordinaire pas complètement banale. Vous pouvez rajouter une journée ordinaire passée par lui de travail ordinaire effectué par lui dans une ville ordinaire habitée par lui pour une vie ordinaire menée par lui. Invité par un collègue de bureau non moins lambda  à prendre un verre plat dans un endroit correct, il le suit avec un enthousiasme maîtrisé et modéré.
   Pourtant qui en douterait chaque jour sait faire en sorte de ne pas être une copie conforme de la veille ou du lendemain.
   Ainsi, alors que son collègue et lui sirotent leur bière tiède à une table entre un groupe de quatre joyeuses personnes, dont une femme qui attire tout d’abord sans raison apparente l’oeil de notre homme. Imaginons que ce soit à cause de sa tenue, un manteau noir corbeau qui lui descend jusqu’au bas des cuisses et ayant pour gros défaut de cacher ce qu’il faudrait a priori pas qu’elle ait honte à montrer. Un manteau banal comme plein de manteaux banals.
   Le petit groupe s’installe au bar, et alors que son collègue lui raconte des choses peu exaltantes sans être complètement inintéressantes, notre homme continue de chercher pourquoi cette jeune femme attire son regard. Il ne se sent même pas sûr de penser qu'il est dommage pour elle de s’habiller de la sorte. Il sait en revanche qu’il ne s’agit aucunement d’attirance sexuelle. L’homme a sa libido en berne depuis sa dernière rupture houleuse quelques mois auparavant. Il repense un instant à Gaëlle, qu’il n’a peut-être jamais aimée, puis à ses soeurs, comme souvent. Le collègue parle de la préparation de la réunion des haut-cadres de la boîte, la semaine d’après. Il a remarqué que notre homme a du mal à quitter des yeux la jeune femme au comptoir, mais préfère ne pas en rajouter, et considère qu’un célibataire triste n’a de leçon ou de taquineries à recevoir de personne.
   Sans événement particulier une journée saura être vécue, mais jamais, grand jamais, rappelée. Et quand au bout de cinq minutes à peine la petite voix de la fille se fait entendre plus clairement dans la salle, avec un joli rire, en fait je crève de chaud ici, vous savez, notre homme lui ne pense pas que ce qu’il avait pressenti à son entrée s’est avéré exact. Cette jeune femme a quelque chose, une seule chose de particulier que couvrait son manteau. Sa robe. Courte et très jaune. Elle fascine instantanément notre homme, qui de là où il se trouve, peut l’observer sous toutes les coutures.
   Il s’agit d’une robe jaune mi-cuisses en tissu léger, sur laquelle sont brodés de gros carreaux peu visibles car jaunes aussi, un peu plus foncé. Les manches très courtes et elles-mêmes à peine ourelées donnent un cachet assurément «jeune» à l’ensemble. Autour de la taille, une fausse ceinture consistant en deux fils brodés entre lesquels du tissu plissait un peu plus fortement avantageait d’une jolie façon les courbes assez prononcées de sa propriétaire. Notre homme attend un moment que la jeune femme daigne se tourner vers lui pour l’admirer un peu mieux. Ce qu’elle fait d’un geste finalement très naturel. Au niveau de la cuisse gauche se trouve une petite broderie rouge, toute simple, qui ne doit pas représenter grand chose, ou du moins, pas à la distance d’où l’homme la voit. La robe semble se fermer par le devant, car tout une rangée de petits boutons pression, à moitié cachés sous des coutures identiques à la ceinture, en plus fines, la traverse de haut en bas. La fille s’est suffisamment boutonnée pour qu’il faille se contenter d’imaginer son décolleté. De part et d’autre deux poches discrètes n’ont pas l’air faux car la fille en sort des petits papiers à plusieurs reprises.
   Alors que le collègue lui explique pourquoi ce serait mieux s’il se syndiquait, l’homme regarde la jeune femme papillonner au milieu des 3 garçons qui l’accompagne. Pourquoi la regarde-t-elle? Parce que l’envie d’elle? La concupiscence? Certainement pas. Parce que la robe? Parce que le Jaune à la Van Gogh? Probablement. A beaucoup d’égards elle était clairement attirante, que personne ne croie le contraire. A une autre époque de sa vie, l’homme suppose qu’il serait parti pour lui proposer, avec ses mots à lui, sans vulgarité ni jamais de métaphores, d’introduire son pénis dans son vagin et d’y effectuer des va-et-vient plus ou moins réguliers. Mais l’homme a bien vieilli, et le manque de vulgarité se perd, de nos jours. Sans oublier que ceux qui entourent la jeune femme ne sont, sous leurs airs malgré tout gentils et désintéressés chacun dans leur genre, a priori pas contre l’idée d’introduire aussi - et en priorité - leur pénis respectifs dans son vagin. D’où incompatibilité.  Elle, de son côté, l’homme connaît bien ces techniques, semble tentée par le plus plus bellâtre des trois. Pour changer. Et ce malgré le fait qu’elle s’est accoudée au bar en laissant les deux autres entre lui et elle, et qu’elle le regarde à peine et ne lui adresse la parole que pour se moquer de lui. J’ai l’impression de regarder Adeline, en fait, se dit l’homme.
Mais Adeline n’a ni les cheveux, ni les jolis petits seins ronds de la jeune fille. Pas plus que ses soeurs.
L’homme a toujours préféré les petits seins qui tiennent bien aux gros machins qui tombent et ballotent tout le temps. Sans réellement savoir pourquoi. Un truc de famille, sûrement. Des deux côtés de la famille de l’homme, les femmes ont toujours eu de grosses et/ou belles poitrines, et ses soeurs ne font pas exception à la règle.
La jeune femme fait à vue de nez du 85B ou C maximum.
L’homme a toujours eu un don pour mesurer à vue, quoi que ce soit. A un moment dans sa vie, il pensait même travailler dans le prêt-à-porter où le bâtiment. De la tête au pied, les tailles humaines n’ont quasiment pas de secret pour lui. Pour les rangements, les meubles et la place qui leur convient, idem. Il sait aussi déterminer à quelle distance se trouve un objet par rapport à lui, ou à un autre objet, parfois dans des espaces très grands, avec une précision qui impressionne tout ceux qui s’amusent à le tester.
   La jeune fille fait un bon petit 85B. Elle mesure 1 mètre 60 sans ses bottes et doit chausser du 39. Son tour de taille serait de 62 ou 63 centimètres et ses hanches 88 ou 89. Le tour de tête n’est pas vraiment calculable car ses cheveux sont plutôt bouclés et qu’elle les a attaché rapidement en chignon. Comme Chloé.
   L’homme a toujours été confronté aux «trucs de filles». C’est lui qui s’est toujours occupé de ses 3 petites soeurs, depuis leur naissance. Les parents étaient absents et inconsistants, bien plus obnubilés par leurs problèmes de couples et leur vie sexuelle que par le bien-être de leur enfants qu’ils ont fait sans le vouloir réellement, pour la bienséance. L’homme donc, à peine adolescent, a bercé ses soeurs, les a nourries, lavées, changées, il les a fait jouer jusqu’à son propre épuisement. Quand le père est parti sans se retourner avec une inconnue, et que la mère a commencé à avoir les fils qui se touchent, c’est lui qui s’est retrouvé en charge des filles. Chloé n’avait pas encore ses règles et c’est lui qui a dû lui expliquer de quoi il en retournait exactement, parce que soit disant les copines n’étaient pas claires. Pendant des années, c’est lui qui a fait toutes les courses acheté tampons (serviettes seulement pour Nathalie), sous-vêtements et vêtements (avec elles, souvent), pris les rendez-vous chez le médecin. Il a eu à la fois les rôles de père, de grand frère et de meilleur ami. Ses soeurs, par malheur, ne s’entendant pas forcément bien entre elles, c’est toujours vers lui qu’elles se retournaient pour quoi que ce soit. Surtout pour des problèmes en vérité. N’ayant jamais été officiellement leur tuteur il s’est souvent retrouvé dans des positions inconfortables par rapport à sa mère, ou à l’administration. L’avortement de Chloé, en terminale, s’est très mal passé puisque l’homme a dû menacer la mère de partir lui aussi si elle ne donnait pas son autorisation, comme cela était obligatoire à l’époque.
   C’est l’homme qui a appris à ses soeurs à ses méfier des hommes. Parce qu’ils ne pensent qu’avec leur queue, notamment. Mal lui en a pris. Les regrets l’assaillent parfois, quand il s’aperçoit qu’Adeline, la plus jeune, celle qu’il a vraiment complètement éduquée, a largement fini par perdre en un temps record toute confiance en l’amour et en la gent masculine, pour ne se laisser aller qu’à des histoires tout juste humides et sans lendemains. Et parfois c’est les larmes qui lui viennent quand elle essaye de jouer à la fière parce qu’elle a couché avec deux étalons en même temps et qu’elle ne comprend pas pourquoi les filles qu’elle connaît sont tellement dégoûtées par les éjaculations faciales, et que lui se dit que le temps est loin où il la faisait sauter sur ses genoux et qu’elle riait aux éclats et qu’elle lui demandait si lui aussi il partirait un jour et lui de répondre non jamais, jamais je serai toujours là pour toi ma puce, ne t’inquiète pas. Je veux pas que tu partes, moi. Je partirai pas, je te jure, Adeline. Promis? Promis. Promis Promis? Promis promis. Tu sais que c’est toi que j’aime le plus sur cette Terre. Moi aussi, ma puce, je t’aime plus que tout. Plus que Nathalie ou Chloé. Exactement pareil, j’ai assez d’amour pour vous trois. Et il la berçait et attendait qu’elle s’endorme pour la ramener dans son lit faire sa sieste dans sa petite tunique jaune écru.
   L’important n’est pas de savoir ce qui s’est passé depuis, qui sont ses soeurs, ce qu’elles ont fait de leur vie. Il a vécu tout entier pour elles, et elles le lui ont bien rendu. Elles continuent à bien le lui rendre. Elles l’adorent mais lui ont fait du mal de la même façon. Sa vie sentimentale est un échec, en partie à cause d’elles et de leur jalousie. De la bêtise de celles dont il est tombé amoureux, bien sûr, c’est évident. La seule fois où il a levé la main sur une fille, la dispute était violente. Elle s’appelait Marion. Elle ne supportait pas de passer après les 3 chipies, comme elle les appelaient. Elle crevait de jalousie, et n’osait pas aborder un sujet, qu’elle n’aurait définitivement mieux fait de ne jamais aborder. Alors, dis-le, dis-le moi, c’est ça que je veux t’entendre dire! Dis-le que tu couches avec elles! Tu alternes, ou peut-être même toutes les trois en même temps, des fois. Tu me débectes!
   Quelques semaines après, cette Marion s’est excusée de la plus plate des façons. Elle était juste jalouse et inquiète et intriguée par cette relation fusionnelle entre l’homme et chacune de ses soeurs. Mais il était beaucoup trop tard. De toute façon, elle n’était pas la première. A le cracher aussi clairement, si, mais l’homme en a toujours eu assez des sous-entendus dangereux et des plaisanteries vaseuses. Si personne ne peut comprendre, qu’on me foute au moins la paix, qu’on nous foute au moins la paix. Demandez-leur, à elles, si notre relation est malsaine, elles sont adultes maintenant, et vous expliqueront que les dégueulasses, c’est vous qui pensez forcément à ce genre de conneries!
   Peu importe. La très jolie robe jaune et la personne qui se trouve dedans n’ont pas pour but de ramener l’homme à ses souvenirs. Il ne sait même pas sur quoi ces souvenirs se basent. Une tenue d’Adeline quand elle avait 5 ans? L’association d’idées a des limites. Et pourtant...
   Adeline est différente de ses soeurs, probablement de la même façon que le jaune détonne avec tout le reste. C’est assurément la plus jolie des trois. Mais c’est loin d’être la plus fine, psychologiquement parlant. L’homme ne supporterait pas qu’on la résume ainsi, mais il faut bien admettre que c’est une blonde, dans tous les sens du terme. Mais comme elle en joue pour tromper son monde, il s’inquiète surtout qu’elle ne réussisse jamais à trouver chaussure à son pied, avec le pied malléable qu’elle a, et son appétit sexuel remarquable et remarqué.
   Mais peu importe.
   Pourquoi le jaune?
   Est-ce la robe, alors? Effectivement, pour être de bonne fois, elle est tout à fait seyante et notre homme aimerait par exemple juste pouvoir en faire le compliment à la jeune femme. Mais étant donné qu’il est aujourd’hui impossible pour un homme de faire un compliment à une inconnue sans que cela passe pour du rentre-dedans maladroit.
   Mais il a envie de lui dire ce qu’il ressent à ce moment précis, avec son collègue qui se met à lui prendre la tête avec les fiches de paie où il y a des erreurs depuis 2 mois. Le temps  passé à boire ne compte plus et rien d’autre ne compte plus non plus sinon le Jaune. Elle irait probablement mieux à Chloé. Nathalie a vraiment trop de poitrine, ce serait vulgaire. Et puis elle a horreur du jaune. Parfois, très rarement, la jeune femme tourne la tête vers lui et le regarde quelques courtes secondes, les yeux grand ouverts, en train de rire à la plaisanterie qu’elle vient d’entendre, mais attentifs à ce qui s’ouvre. Un drôle de regard que l’homme ne connait pas bien.
   Soudain, le collègue se retire poliment, certainement lassé par la situation. Notre homme lui dit au revoir, un peu embarrassé, puis replonge dans la contemplation de la robe jaune, avec son tissu ni trop doux ni rêche, et ses carreaux discrets, et son petit motif brodé sur la cuisse. Et tous ses boutons pour la fermer. Un instant l’homme se demande de quelle couleur sont les sous-vêtements. Noire, apparemment. Ils transparaissent un tout petit peu . L’homme n’a pas l’intention d’avoir d’érection pour si peu. Il se dit juste, d’un point de vue esthétique, que pour une fois, le noir lui convient.
   Fatigué, il s’apprête à s’extirper de sa contemplation. Dehors, il s’est remis à pleuvoir. L’homme marmonne quelque chose d’incompréhensible même par lui-même et va au comptoir pour régler l’addition. Debout à côté de la fille, il réalise sans surprise qu’elle sent bon. Mais toujours pas d’érection. Il n’en veut pas. Les garçons à côté d’elle montrent que l’alcool montent en eux, et elle rit avec des regards en coin plein d’excuses, ou de compassion allez savoir, pour notre homme. La pluie s’intensifie un peu, puis beaucoup le temps qu’on lui ramène sa monnaie. Il laisse un pourboire correct. Votre robe est ravissante, Mademoiselle, vraiment. Il l’a dit d’une traite, sans réfléchir, comme on retire un pansement. Elle se tourne vers lui et le gratifie du plus beau sourire qui puisse exister. Merci beaucoup je viens de l’acheter et j’avais un peu peur de la porter. Bonheur réel du quotidien jamais banal. Après l’avoir saluée il sort rapidement sans se retourner.

   Il n’a pas fait 100 mètres qu’une voix déjà familière se fait entendre derrière lui. La robe jaune arrive à sa hauteur en courant, tout sourire. Il a oublié son ordinateur. Jamais il n’oublie son ordinateur. Il le lui dit. Elle rit. Elle a le même rire que sa mère. Un joli rire franc, jamais moqueur. Il la remercie le plus sobrement possible et l’enjoint à retourner s’abriter au café parce qu’elle est sortie sans son manteau et qu’il pleut de plus en plus fort. Elle obéit et cours dans la direction opposée. Au tiers du parcours elle se retourne et sans se départir de son si beau sourire fait un petit geste de la main. La robe mouillée, le soutien-gorge noir et la culotte sont maintenant bien visibles. L’homme ressent pendant un court moment un début d’érection.

   En se dirigeant vers chez lui, l’homme se dit que rien ne changera jamais. Le Jaune restera jaune. Ses soeurs seront ses soeurs. Il devra s’accoutumer à sa solitude plus si nouvelle que ça. Mais soudain, en regardant la sacoche de son ordinateur portable, il se prit à s’amuser, en souriant à son tour pour la première fois depuis des lustres, à calculer objectivement la probabilité qu’il y avait à ce que cette jeune femme à la fascinante robe jaune y ait laissé un message quelconque. Quelques années auparavant il n’aurait pas supporté le stress de ce chat de Schrödinger adapté à la vie sociale et sexuelle. Tant que l’homme ne vérifie pas, la robe jaune est à la fois à lui et pas à lui. Quantiques visions de l’acte sexuel. Juste un pénis introduit ou non dans un vagin et y faisant ou non des va-et-vient. Ou les deux en même temps. Le sexe et pas de sexe en même temps.

   Le Jaune, lui, pourtant, lui appartient pourtant pour de bon. Et dans un éclat de rire il se dit que l’hypothétique message dans sa sacoche attendra bien qu’il soit de retour chez lui.

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6 décembre 2009 7 06 /12 /décembre /2009 17:33

Il est des fois où il faut savoir faire une entorse à ses principes moraux fondamentaux. En espérant ne décevoir personne par mon attitude bassement autocentrée, je crains devoir aujourd'hui vous parler de ce que j'ai fait depuis 2 jours.
Ce n'était pas dans le programme. Je devais publier une nouvelle nouvelle (oui, inédite et tout) mais il s'est avéré que j'ai été mis en retard. Et oui, avec toute la mauvaise foi ironique du monde, ce retard est complètement indépendant de ma volonté.

Vendredi soir sont arrivés de très loin des amis que je n'avais pas vu depuis 3 ans. Des Japonais venus avec des milliers de concitoyens pour des vacances au centre desquelles doit avoir lieu une sorte de colloque, suivi d'une fête ce soir. Très collants, ils m'ont tenu le bout de gras jusqu'au tout dernier métro. J'ai été obligé de les retrouver ce matin, et de les emmener au musée d'Orsay, bondé de chez bondé. L'horreur, vous imaginez bien. Ils avaient heureusement la fête mentionnée au-dessus à préparer et m'ont laissé partir. Je tremble à l'idée de devoir y retourner demain...

Pourtant, si je n'étais pas au bout de mes peines, le pire a eu lieu hier soir. J'ai rencontré une personne, dont le nom restera codé pour préserver son identité et son intimité, et que j'appellerai donc Mademoiselle A. Mademoiselle A. est une jeune fille qui m'a trouvé sur le web, je ne sais comment, et qui s'est entichée bizarrement des petits trucs que j'écris. Cela fait donc plus d'un mois qu'elle me tane tous les jours pour que nous nous rencontrions. Ne voulant pas la vexer, j'ai été obligé de traverser tout Paris dans un métro bondé pour la retrouver. Il faut beaucoup se méfier d'elle, car sous ses airs de joli brin de fille innofensive, elle cache de méchantes capacités spéciales indétectables. Dans mon cas, elle a réussi à me faire acheter à l'improviste du papier toilette (véridique, alors que j'ai normalement besoin d'une préparation psychique conséquente pour le faire) et à me demander ce que je pensais de son choix (véridique aussi!). Ensuite elle m'a fait boire de la Kro (un exploit) qui était ouverte depuis un laps de temps que je vais taire sous prétexte de donner des hauts-le-coeur à mon lectorat. Aujourd'hui je vais bien, et je pense que c'est un miracle. Ensuite, plus gros miracle encore, nous sommes allés dans un restaurant japonais (ceux et celles qui me connaissent comprendront ce qui tient du miracle ici) où nous avons bien mangé, bu et parlé de plein de choses. Utilisant le subterfuge facile de l'alcool, Mademoiselle A. a fini par me faire dire des choses que normalement je ne raconte qu'aux hommes en blanc avec des petites pilules rouges ou bleues. Après cela nous sommes rentrés chez elle et c'est là qu'elle aussi m'a tenu la jambe pendant des heures entières à ne parler que d'elle et de ses trucs de fille trop girly machin chose, ces derniers achats chez Mango ou Zara ou Mango, son journal de mode avec ses copines etc...
Elle m'a aussi parlé de ces goûts musicaux, pourtant, ici, la descence artistique m'autorise à peine à l'évoquer. Sans même mentionner sa passion pour les grosses cylindrées, dont elle a honte, à raison.
Vers l'heure du dernier métro (que j'ai raté), Mademoiselle A. a consenti à me laisser partir parce que j'étais fatigué. Je vous assure que sans ça, elle-même était partie pour jacasser toute la nuit.
Bref, la pire soirée de ma vie depuis que je suis arrivé à Paris, au moins.
Et bien entendu, personne ici ne connaît Mademoiselle A. En revanche, si par hasard elle me lit je lui dirai que tout ça n'a pas d'importance, à part pour le coup du PQ que je ne pardonnerai JAMAIS. Vous m'entendez, Mademoiselle, JAMAIS! Et il est hors-de-question que nous remettions ça à l'avenir... Na, d'abord!

Pour finir, je suis bien embêté car mon second principe intangible est de ne pas utiliser de smileys. Alors comme ici il est évidemment indispensable pour comprendre l'ensemble de cet article, veuillez l'imaginer vous-même, en très gros: Il s'agit d'aligner en majuscule l'anté-pénultième lettre de l'alphabet avec la quatrième, avec un peu plus loin, en plus petit deux points et un p qui les suit.
J'espère surtout publier "la robe jaune" demain et redevenir un peu sérieux la semaine prochaine pour ne pas decevoir Madame P. une nouvelle fois.

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5 décembre 2009 6 05 /12 /décembre /2009 03:01

Oui, comme il faut bien rire, parfois, au milieu des petits ou gros drames de la vie quotidienne voici en exclusivité, pour fêter en retard le premier mois de mon blog, un grand classique que mes confrères et consoeurs font de temps en temps: le best of des recherches google pour arriver à leur site. Chez moi, au 4 décembre ce sera exhaustif, parce que je n'en ai pas tant que ça, et que j'en profite avant de devenir une star débordée. Eh oui. Plaisanterie mise à part, je les trouve gratinées, dans leur genre.
Evidemment, je les cite sic et verbatim, à savoir dans le texte pur, sans retouche.
Je commence:
injektileur.overblog : classique. je crois même savoir qui c'est, dans mon entourage. j'ai tellement une écriture de caca que les personnes à qui j'ai donné mon adresse sur papier ont dû un peu ramer pour trouver, les pauvres...
ishijima : ça me ferait très plaisir, mais je crois que c'est moi... snirf...

Après arrivent tous les "mystères", à savoir, j'aimerais, parce que j'ai essayé certains, savoir COMMENT on a pu arriver ici avec ces recherches, soit bizarres, soit beaucoup trop banales:
recherches intensives : premier gros mystère. je ne savais pas à quoi cela faisait allusion, et en cliquant, on tombe en fait sur toutes les recherches d'enfants disparus...
on sert la main de la main gauche japon : je croyais que c'était mon ami Pierre-A. qui me faisait une blague, mais non... et pour répondre à la question, c'est non aussi, au Japon on salue simplement en s'inclinant plus ou moins bas, 99% du temps, et quand on sert la main c'est de la droite. si cette personne revient elle sera contente que j'ai répondu, j'espère
maison de repos et assimiles : ce genre de recherche m'inquiète, si c'est à moi qu'on pense en la faisant
de quel cote on doit se lever le matain (la seule recherche yahoo): je peux pouvoir, après écriture de la nouvelle qui en parle, aucun des deux, mon général. ah, en revanche, dans mon texte, la faute d'orthographe à "matin" était volontaire...
dessins 12 ans : encore un gros gros mystère irrésolu
becaud : mon triangle des bermudes. je cite une fois ce chanteur et je ne vois pas du tout comment ma page aurait pu s'afficher au milieu des centaines qui lui sont consacrées.

Ensuite viennent les perverses ou cochonnes, que les moins de 18 ans se cachent les yeux:
clitoris monstres : oserai-je préciser que cette recherche a été effectuée 2 fois dans la même journée, je suppose par la même personne à 2 endroits différents? super, j'ai un (une?) fan hardcore...
un tigre vomie dans la bouche de quelqu'un : franchement, là, no comment... cette recherche parle d'elle-même, ne croyez-vous pas? et je ne vois pas comment j'aurais pu l'inventer, surtout...
voyeur étourdi baise : mmm, pourquoi étourdi, en fait? sinon oui, voyeur, c'est vexant, forcément. je crois qu'il faut que j'arrête très vite de prendre ces recherches pour moi...
récit honte voyeur zizi : faut que je m'avoue vaincu sur le "voyeur" alors?
sans culotte : que ce soit une recherche à but historique ( j'en mettrais pas ma main à couper) ou coquin, je voudrais encore une fois que quelqu'un m'explique COMMENT on peut s'introduire chez moi avec des mots aussi utilisés par tous les sites de charme.
masturbation video : idem. idem à fond, même. si vous avez une idée de réponse, aidez-moi je vous en supplie. genre sur google le type (ou la fille?) il clique au hasard loin dans les pages et tombe sur le titre, pour la main gauche, et se dit: ouh ça va être style "change pas d'main, j'sens qu'ça vient"? il/elle a dû être déçu(e), c'est clair...

Enfin, j'ai déjà mon champion, ou ma championne, mon François Pignon à moi. Attention les yeux:
pourquoi on m'a interdit et qui a fait Ça de m'empecher de me defendre au tout debut car Ça fait longtemps que Ça dure : si quelqu'un parmi vous peut déjà me traduire cette prose, ou me dire comment elle a été créée, car oui, il s'agit de création ici, je vous en serai éternellement reconnaissant. merci et bon week-end à vous. ah, pour rester authentique il faut absolument que je précise ce qui achève de m'inquiéter: cette dernière recherche me permet de me retrouver aujourd'hui en 2ème page sur google... cqfd

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4 décembre 2009 5 04 /12 /décembre /2009 01:20

INTRA     L’affaire des petites culottes compensées

   Tout a commencé avec une petite taquinerie de Clyde, ou peut-être une des questions existentielles de Tamise. Cela est en rapport direct avec la tenue vestimentaire des écolières et une description succincte devient donc nécessaire. Il y a une quinzaine d’années les matriarches ont débattu sur l’utilité ou non d’instaurer le port de l’uniforme à l’école. En ce qui concerne le fond elles ont fini par se mettre d’accord pour dire que cela ne pouvait pas faire de mal à quiconque. Ne restait plus qu’à décider de la forme. L’idée d’une quelconque blouse fut rapidement écartée, le Conseil ayant convenu du « manque esthétique flagrant » d’un tel accoutrement, même si cette solution semblait d’emblée la plus économique. Force est d’admettre que les matriarches ont en définitive été beaucoup moins regardantes qu’à l’accoutumée sur les dépenses. Dans l’île certaines ont d’ailleurs protesté que les membres du Conseil avait depuis longtemps passé l’âge de jouer à la poupée. Mais peu importait le prix, les matriarches ont considéré de leur côté que le bien-être des petites prévalait sur tout le reste ; et selon elles ce bien-être passait aussi par le besoin de se sentir jolies pour aller à l’école. Et effectivement les petites ont eu de quoi être fières. Amour, la trésorière, s’est arrangée pour se procurer on ne sait où tout un stock de vêtements qu’elle affirme encore avoir dessinés elle-même. Dans toutes les tailles et pour chaque saison – été et hiver – de modèle identique et complet des souliers au serre-tête. Petite liste descriptive de la tenue estivale, celle que porte en ce moment Tamise et ses camarades. De bas en haut :
 - Mocassins vernis noirs, très simples, languette sans décoration particulière. Très sobre mais très mignon et très luxe.
 - Fines chaussettes blanches en coton, un peu plus longues que des socquettes. Aucune décoration non plus.
 - Jupe droite bleu marine, portée plutôt bas sur la taille, jusqu’à mi-cuisses. Ce qui a coûté le plus cher. Très jolie très solide et très bien faite. Elle tombe parfaitement.
 - Ceinture assortie aux chaussures. Boucle plaquée argent dont chaque élève choisit le motif ; c’est en général la seule partie de l’uniforme que les filles conservent d’une année sur l’autre – des rallonges sont régulièrement effectuées – puis gardent en souvenir. Le reste est normalement revendu aux mères les moins fortunées pour leur permettre d’économiser sur la croissance de leur fille.
 - Chemisette blanche à manches courtes, très fine, relativement cintrée « pour que ça ait de l’allure ». Longueur moyenne. Plutôt pensée pour se porter hors de la jupe et de fait cacher la ceinture – ne pas chercher à comprendre – on y rajoute un col marin et un foulard noué de la même couleur que la jupe.
 - Serre-tête dans le même esprit que les petites ont droit de décorer comme elles le souhaitent jusqu’à leur dixième année. Possibilité de varier avec un queue de cheval ou des nattes. Les cheveux trop courts sont mal vus.
A ceci il faudra ajouter un gilet bleu clair sans manches pour l’automne et les rares journées plus fraîches. Ce n’est qu’un mois après le jûgatsu muika que les élèves sont priées de mettre leur uniforme d’hiver, juste avant que les températures chutent brusquement, comme chaque année à la même période.
   Mais hiver comme été pour que cette description soit exhaustive il faudra la compléter par l’élément au centre même de l’anecdote : les sous-vêtements, et plus particulièrement la culotte. Il faut savoir que ce drôle d’objet a toujours beaucoup intrigué Tamise. C’est gênant ça gratte ça tient chaud ça se salit vite et surtout il faut faire attention à ne pas faire pipi dedans. Qui plus est, d’un point de vue esthétique l’instrument laisse à désirer. C’est ni très grand – d’où peut-être le nom de « petite » culotte – ni collant et dans tous les cas pas vraiment seyant. Ca garde –assez logiquement c’est vrai – toujours la même structure simpliste qu’on ne sait qui essaye d’égayer avec des motifs et des couleurs censées être mignonnes ou rigolotes. On voit de tout : des blanches des roses des mauves, à pois, à cœurs ou à rayures, avec des animaux, avec un petit nœud devant – très pratique pour ne pas se tromper de sens, car oui il y en a un – ou des contours décorés sur les élastiques, voire des élastiques brodés eux-même.
   Une grande diversité qui n’a pourtant de cesse de perturber Tamise dans sa vision très pragmatique de l’outil textile. C’est quoi la finalité du truc si on doit pas le voir ? T’occupe, et enfile-moi ça vite ou j’me fâche ! Mais les menaces n’ont jamais fait dévier Tamise de sa trajectoire – qui est la bonne puisque c’est la sienne -, elle est têtue comme dix saumons et prend un malin plaisir à les passer outre tant qu’on ne lui a pas expliqué clairement le pourquoi du comment. Liffey et Clyde ont donc dû agir. Au cours d’une discussion entre six yeux cette dernière a fini par convaincre la petite, à force de ruse et d’humour. Elle a commencé par lui avouer que la culotte en elle-même servait avant tout de « cache-sexe ». Tam connaissait déjà le mot. Elle réfléchit une poignée de secondes puis un rien provocatrice dans l’attitude tira sa jupe, fit mine de s’observer l’entrejambes – sous les yeux plus éberlués que véritablement choqués de ses deux mamans – avant de relever la tête et rétorquer avec un sourire malicieux qu’elle trouvait sa poupoune très mignonne comme ça et qu’elle ne voyait pas pourquoi elle devrait la cacher. Elle faisait semblant de ne pas comprendre les raisons qui font que malgré la grande largesse d’esprit des habitantes de l’île – au moins par rapport à la nudité - aucune d’entre elles ne semblaient apprécier à sa juste valeur la vision d’une petite fille se baladant les fesses et le minou à l’air. Et ce, notamment pendant les descentes acrobatiques des bâtiments – en jupe rappelons-le – où il n’est effectivement pas simple de cacher le fait qu’on a précisément rien à cacher.
   En résumé tout le monde, après avoir été amusé par la fantaisie de la chose et son côté mignon tout plein d’innocence, commença à se lasser de subir chaque jour l’anatomie intime de Tamise. Parmi ses copines aucune n’osa l’imiter et certaines lui firent même des réflexions rapportées de leurs mères. Comme quoi une jeune fille « comme il faut » - notez l’expression ridicule – devait porter une culotte, du matin jusqu’au soir. De son côté Liffey commença à en avoir assez quand on s’est mis – sans aucun tact – à lui faire comprendre qu’on trouvait que sa petite manquait d’éducation, mais c’est l’hypocrisie quasi-générale – de rigueur – qui acheva de l’exaspérer le jour où elle eut vent des bruits qui couraient sur son propre compte. Dans son dos certaines – dont nous tairons les noms ; pour l’instant – la traitaient tout bonnement de mauvaise mère. Insulte suprême s’il en est. Liffey aurait tout à fait pu mettre un terme aux commérages par des moyens peu diplomatiques – ses poings ses pieds ses coudes son front ou ses genoux – avec d’autant plus d’assurance qu’elle savait Clyde de son côté, mais elle préféra cette fois tenter une approche – et si possible une revanche – plus en finesse. Raison pour laquelle Clyde et elle ont décidé d’instruire Tamise sur ces questions d’ordre principal. Mais à défaut d’instruction les deux femmes se sont vite trouvées nez au mur des convictions de leur fille. Clyde réussit néanmoins – éclair de génie comme il lui arrive souvent d’en avoir – à s’introduire dans les lignes de défense de la petite avec un meilleur angle de pénétration.
   Extrait de ce moment d’anthologie coincé dans un quotidien d’une banalité par définition écrasante :
 « Je comprends bien tes arguments, Tam, et un peu plus et tu réussirais presque à me convaincre ; mais je crois qu’on t’a pas tout dit et qu’il y a une chose que tu sais pas encore… » silence placé comme sur une partition
 « Ah bon ? Et c’est quoi alors ? » à sept ans, Tamise ne peut résister à ce genre de carotte
 « Non non, en fait ça sert à rien que je te le dise tu changeras pas d’avis, de toute façon… » Clyde, impassible tel un congélateur vide, boit deux trois gorgées de son jus d’orange sous le regard intrigué de la petite, et aussi celui de Liffey qui se demande ce qu’elle va bien pouvoir encore inventer comme thonerie.
 « Allez, dis-moi ! Ca m’intéresse ! »
 « Non, j’ai plus envie… »
 « Allez, te fais pas prier ! » Tam perd déjà patience
 « J’ai dit non » Clyde a du mal à réprimer un sourire
 « Allez, quoi ! »
 « Insiste pas. Tu demanderas à ta mère une autre fois. » Liffey ouvre de grands yeux rieurs
 « Faudrait déjà que je sache de quoi tu parles… »
 « Non, pas maman, elle est nulle elle sait jamais rien – gros bisou rapide à Liffey déjà vexée, assise à côté d’elle à la table – Pardon maman tu sais que c’est pas du tout ce que je voulais dire – elle se tourne de nouveau vers Clyde, presque suppliante – Alleeeeez, s’il te plaît Clyde je veux savoir ! Et tu vois ce que tu me fais dire ? Maman est fâchée maintenant… »
 « Bon… d’accord… - petit soupir reconnaissant de Tamise, regard curieux de Liffey, et silence dramatique calculé de main de maître par une Clyde sûre de son effet – En fait ça concerne ta santé… »
 « … Ma santé ? »
 « Oui. C’est très dangereux de ne pas porter de culotte. »
 « Dangereux ? Pourquoi ? »
 « Eh bien… Tu aimes plonger entre les barres d’immeubles, pas vrai ? »
 « Oui, j’adore ça, même. Où est le problème ? » Tamise ne voit pas où veut en venir sa deuxième maman, et Liffey non plus d’ailleurs.
 « J’y viens… Tu ne dois pas être sans savoir que quand tu plonges tu es soumise à de très forts frottements avec l’air, à des pressions beaucoup plus importantes que la normale… »
 « Ben ouais, et alors, pour moi ça fait partie du plaisir de plonger, je crois… »
 « J’en doute pas j’en doute pas… Quand tu plonges tu fermes la bouche, non ? »
 « Ben si, sinon j’avale trop d’air et ça me rend malade… »
 « On est bien d’accord… - Liffey laisse échapper un petit rire, elle comprend enfin la blague. Sa fille lui jette un coup d’œil soupçonneux – A ton avis, à quel moment du plongeon tu atteins ta vitesse maximale ? »
 « Juste avant de m’accrocher au fil, c’est logique… - elle s’arrête deux secondes – mais ça veut dire quoi tout ça, j’en ai marre ! » Tamise s’énerve un peu.
 « J’y viens je t’ai dit !
 « Bon ben vas-y alors ! J’ai vraiment l’impression que vous vous fichez de moi… » coupe la petite de plus en plus irritée
 « Mais pas du tout, ma puce, pas du tout… » la rassure Liffey, avec tout le sérieux dont une mère doit savoir faire preuve aux moments cruciaux.
 «  Je continue. Quand tu t’agrippes au câble, tu change de sens, pas vrai ? Tu avais la tête en bas, et tu te retrouves la tête en haut. A ce moment précis, quelle est la partie de ton corps la plus exposée à ces courants d’air ? »
 « Je vois pas… » Tamise, qui finit par saisir ce que Clyde essaie de lui faire comprendre, devient soudain plus inquiète qu’énervée.
 « Réfléchis un peu ! On est en train de parler de culottes ! » Clyde la bouscule exprès.
 « Tu veux parler de ma… poupoune ? » l’inquiétude grandit dans les yeux de la petite fille.
 « Eh ben tu vois, quand tu veux ! Appelle-le comme tu veux, mais ton minou est mis à rude épreuve, crois-moi ! »
 « Mais euh… la poupoune c’est pas une bouche, c’est fermé, euh… ça s’ouvre pas… c’est… hermétique ! » elle a trouvé le mot qu’elle cherchait.
 « Hermétique ? Tu rigoles ? Tu crois que ça résiste aux courants d’air ? »
 « Euh… » Tamise est un peu perdue
 « Ecoute-moi bien je vais t’expliquer quelque chose de très important. Ta poupoune comme tu dis est loin d’être hermétique. Comment tu ferais pipi, sinon ? – Tamise ne peut qu’acquiescer, toute penaude – Et quand tu plonges, ça veut dire que l’air peut rentrer aussi. C’est rare, mais imagine qu’un jour cet air remonte plus haut, dans ton ventre… Eh ben crois-le ou non, mais tu deviendras aussi énorme que la grosse Tibre ! »
   Le choc. Presque bouche bée Tamise resta un long moment sonnée, incapable d’articuler le moindre son. Tibre est la seule habitante de l’île à avoir été rayée des listes maternelles pour « excès pondéral ». Dans son cas il conviendrait mieux d’appeler ça « obésité » mais on a pensé que ça ne ferait que l’isoler encore plus. Elle possède notamment un ventre énorme qui – Clyde le sait bien – terrifie littéralement Tamise, la fillette n’arrivant pas à comprendre où et comment ce bide monstrueux, ce pouf tellement gras qu’il en prenait un aspect mi-liquide visqueux saturé d’huile mi-terreau de mauvaise qualité avait pu trouver les quantités suffisantes pour satisfaire son appétit visiblement insatiable. La vérité est que Tibre utilise l’écrasante majorité de ses revenus pour racheter les tickets de rationnement des moins gourmandes, en particulier ceux destinés à l’achat de boissons sucrées, extrêmement recherchés. Elle en a les moyens, elle occupe un poste important : c’est elle qui gère l’ensemble de la production de l’usine 8, usine où travaille d’ailleurs Liffey. Raison pour laquelle cette dernière à l’habitude de dire qu’elle a pour patronne une baleine, ne serait-ce que pour faire un peu rire sa fille qui adore ce genre de blagues.
   Mais ne nous écartons pas du sujet, cette fois-là Tamise ne rit pas du tout. Elle garda le silence inquiet des jours graves, puis parvint enfin à demander ce qu’on pouvait faire pour éviter une telle abomination. Ses deux mamans lui répondirent d’un ton rassurant – mais avec de plus en plus de mal à ne pas se marrer comme des… baleines – qu’elle n’aurait rien à craindre pour sa poupoune et son ventre si elle consentait à mettre ces fameuses culottes. De leurs tissu elles la protègeraient contre tous les courants d’air et autres bourrasques de vent possibles et imaginables. Tamise se laissa ainsi convaincre et décida de mettre en pratique ce conseil dès le lendemain. Ce qui fut fait.
   L’histoire aurait pu s’arrêter là que ça n’aurait – on s’en doute – absolument pas dérangé Clyde et Liffey… mais ç’aurait bien entendu été sans compter sur « l’imagination débridée » de leur fille, qui prit en définitive l’affaire comme n’importe quelle petite de sept ans qui se respecte, c’est-à-dire très très au sérieux.
   Ce n’est pas le lendemain, mais le jour d’après que Tam est revenue à la charge. Il n’est à proprement parler pas nécessaire de préciser que lorsqu’elle a remis ladite « affaire » sur le tapis Liffey ne se souvenait plus de quoi il s’agissait. Belle preuve de la différence de sélection dans la mémoire sélective entre les adultes et les enfants. Le temps que la jeune femme se rappelle exactement les tenants et aboutissants de la plaisanterie de laquelle avait découlé la panique de sa fille, Tamise était déjà en train de lui faire part – avec moult exemples en main – de son inquiétude quant à la solidité et à l’imperméabilité à l’air de ses culottes qu’elle n’avait quasiment jamais portées avant ce funeste jour de printemps. Tout en maudissant Clyde intérieurement Liffey s’inquiéta à sa son tour de savoir Tamise si inquiète. Inquiète au point de l’avoir gardé pour elle sans rien en dire à ses copines. Elle eut beau faire de son mieux pour apaiser les craintes de sa petite, lui dire que ses culottes étaient parfaites, celle-ci commença à sangloter qu’elle préfèrerait mourir plutôt que de ressembler à Tibre et qu’il fallait donc qu’elle se résigne à abandonner le plongeon. Consternée, Liffey réfléchit un instant et proposa à Tam – idée lumineuse – de renforcer ses sous-vêtements avec un deuxième bout de tissu cousu à l’endroit stratégique. Elle n’aurait ainsi vraiment plus aucune raison d’avoir peur des coups de vent surprise. Tamise fut de suite ravie au plus haut point de la trouvaille de sa maman et lui demanda des détails – mais dis, comment tu vas faire ? Très simple ; tu vois qui c’est, Elbe, la repriseuse ? Oui. Eh ben c’est une bonne amie à moi, elle me donnera ses chutes, et… ses chutes ? Elle a des fuites ? Mais non bécasse ses chutes de tissu ! Et avec ça je vais te faire les plus jolies culottes sécurisées que tu as jamais vues ! Ouaaais ! Merci maman ! - ; elle lui sauta au cou et l’embrassa comme si elle voulait l’étouffer de sa reconnaissance. Le soir même elles se rendirent ensemble chez Elbe qui ne posa pas de questions, s’imaginant sans doute que des restes de tissu constituaient un excellent moyen de divertir la petite. Tamise se montra cependant relativement regardante par rapport aux couleurs et aux motifs. Elbe fut impressionnée par les goûts très arrêtés de la fillette et affirma qu’elle n’aurait pas mieux choisi elle-même, ce qui rendit Tamise très fière. Elbe a la réputation d’être une connaisseuse – son métier de couturière lui colle à la peau, bien qu’elle se plaigne souvent de ne passer son temps qu’à repriser, faute de commandes – et ses opinions dans le domaine font autorité sur l’île. Raison pour laquelle, entre parenthèses, Amour la trésorière soi-disant styliste et elle s’entendent comme du poisson pourri. Quoi qu’il en soit, tout ceci aurait dû mettre fin une bonne fois pour toutes à cette histoire sans queue ni tête de poupoune enrhumée… Mais il était impensable que Tamise, vaincue de la sorte, se rende sans baroud d’honneur.
   Car lorsque l’inquiétude disparaît Tamise retrouve en général sa langue, et cela s’est traduit ici le jour suivant par un (très) court défilé improvisé devant les copines sidérées. En jeune fille qui ne perd jamais une seconde quand il s’agit de tester une nouveauté, Tam a immédiatement adopté une des culottes que Liffey lui avait confectionné avant de se coucher. Il fallut bien moins d’une semaine pour que toute l’île entende parler de cette nouvelle mode des « culottes compensées » et à peu près autant de temps pour découvrir qui en était à l’origine. Toutes les écolières tannèrent en chœur leurs mères pour que celles-ci leur cousent le petit plus qui fait la différence. Elbe, déjà débordée par la demande, fut très rapidement à cours de chute et se frotta les mains quand les mamans, un tantinet exaspérées – on compatira – par les insistances ultrasoniques de leurs filles se résignèrent à acheter les morceaux de tissus nécessaires à la création de ces dessous que tout le monde s’arrache.
   Quelques complications ont survenu lorsque le nom de Tibre fut lâché sur la masse étroite des galeries extérieures. Sans surprise il a fini par échouer aux orifices auditifs de la principale intéressée qui, contre toute attente, se montra prompte à réagir et se transporta – c’est le mot – elle et ses confortables réserves lipidiques directement chez Liffey pour exprimer en termes pas vraiment mielleux son légitime mécontentement. A priori instoppable son élan s’est vu pourtant freiné par un argument d’un poids encore plus grand. Liffey ne tenait pas à laisser entrer chez elle la furie éléphantesque qui lui servait de patronne et la retint sur le palier tout le temps que dura le plaidoyer. Entre les barrissements elle put saisir que ce qui choquait le plus Tibre, c’était pas qu’on remette ses kilos en trop sur le tapis, non, elle voulait juste faire sa fête à celle qui s’est permis de lancer cette rumeur qu’elle porterait pas de culotte. C’est un monde, quand même ! Alors que je me démène tous les jours pour en trouver à ma taille blablabla. Si Liffey ne l’avait pas sue complètement dénuée d’humour elle aurait pu éviter de se forcer à ne pas éclater de rire. Et vu la rougeur granuleuse du visage de son interlocutrice il est clair qu’on ne peut que confirmer son absence totale d’envie de plaisanter. On peut aussi préciser qu’elle arbore en fait toujours cet espèce d’amas écarlate et rugueux dont seul le nez saillant permet qu’on l’identifie comme un visage ou quelque chose d’apparenté. Mais elle se calma d’un seul coup lorsqu’elle aperçut à la dérobée par dessus l’épaule de Liffey Clyde, assise à la table basse, l’air placide, en train de siroter silencieusement un jus de pomme. Placide mais aux aguets, et prête à « répondre » si le besoin se fait sentir. Tibre le sait et n’a aucune envie qu’elle lui rappelle.
   Si Clyde n’a pas d’ennemies, il ne faut pas en conclure trop hâtivement que c’est que tout le monde l’aime, car la vérité n’est pas si idyllique : Clyde n’a pas d’ennemies parce que celles qui se sont présentées comme telles ont toutes passé un sale quart d’heure. D’ailleurs Liffey apprendra plus tard que Tibre était venue chez elle avec en tête l’idée rassurante que Clyde et elle avait rompu. Dommage pour elle à l’époque c’était déjà plus ou moins vrai. Les deux jeunes femmes avaient décidé de se séparer il y a de ça quelques semaines, mais tenaient absolument à maintenir au mieux le fragile équilibre sur lequel repose l’éducation de leur fille. Pour rien au monde elles n’auraient fait souffrir la petite. Clyde continuait donc de passer la voir tous les jours ou presque et restait souvent pour le dîner. Parfois elle couchait Tamise et attendait que celle-ci s’endorme avant de partir. Parfois encore elle s’attardait un peu pour n’avoir Liffey que pour elle. Et parfois même Liffey et elle faisaient l’amour ; soit dans la douceur aphone de la chambre qui leur semblait ouverte sur un ciel rythmé par les étoiles, soit avec la rage sourde de ces couples qui savent que demain n’est pas à eux. De toute façon t’as jamais voulu qu’on vive ensemble… Toi non plus, alors recommence pas…
   Sans se faire plus attendre, lentement Clyde se leva, avança vers la porte avec sa nonchalance habituelle, son verre toujours à la main – Lili tu peux faire à manger ? J’ai faim et Tam va pas tarder –, et prit la place de Liffey sur le palier, décontractée jusqu’à l’arrogance, comme si le pachydermique amas adipeux qui se tenait devant elle ne méritait pas d’existence. Elle ne l’a pas regardé une seule fois, aussi difficile que cela puisse paraître d’éviter ce tas posé là comme une bouse bien consistante. Silence. Gorgée. Tibre réussit à dire un mot. Elle a l’air d’un gros intestin atteint de constipation séculaire. – Alors… Alors c’est toi ! – gorgée. Soupir – C’est moi quoi ? C’est… C’est toi qui a lancé cette histoire… - la sueur perle pitoyablement sur les contours de l’orifice buccal – Ouais. Tu m’en vois confuse. – Regard Pleine Face. Enfin. Assurément dangereux. La graisse s’en rend compte et s’enfuie – ça se passera pas comme ça ! J’te l’promets Clyde, tu perds rien pour attendre ! Et ta copine aussi ! – Sourire En Coin. Carnassier – Mais oui mais oui vas-y, dis-moi que t’as l’bras long ça m’fait toujours marrer ! Faudrait déjà que t’arrives à mettre tes mains dans tes poches, Ha !
   C’est Tamise qui a bien ri quand Clyde lui a raconté l’événement. Liffey était pour sa part très inquiète de la tournure que cette histoire prenait et avait sans oser l’avouer assez peur des représailles possibles de Tibre. Représailles qui a ce jour n’ont pas eu lieu. Paradoxalement il semble que ce soit à la fois par manque et par excès de lâcheté que Tibre ne s’en est pas prise à Liffey à l’usine. Elle n’est pas lâche car bien qu’elle la déteste, elle ne s’attaquerait pas à Liffey, sa subordonnée en position de faiblesse, alors que celle-ci n’a rien à voir – du moins c’est ce que son cortex cérébral d’huître lui laisse croire – dans cette affaire. Elle est très lâche car dans tous les cas elle sait parfaitement que s’il arrivait quoi que ce soit à Liffey Clyde lui tomberait dessus à bras plus raccourcis que les siens. Quel que soit le prix à payer pour s’être fait justice soi-même.

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3 décembre 2009 4 03 /12 /décembre /2009 01:20

En 2007, à la sortie de "Volta" de Björk je commençais vraiment gravement à me sentir à la ramasse et sans que ce soit ma faute, presque contre mon gré j'ai dirons-nous laissé filer l'objet. Ce n'est que cette semaine que je me suis penché sur ce condensé de tout ce que sait faire la grande et petite Islandaise. "Declare Independence", en particulier, m'a refait admettre que j'avais une sérieuse prédisposition pour les décibels excessifs et la saturation a priori inutile, et l'electro qui ne cherche pas l'élégance ni le cool ou le branché (des mots que j'abhorre), mais seulement le bruit rythmé pur, toujours cohérent.
Contrairement à RATM, Björk n'a de chanteuse engagée que le nom. C'est une idée fausse que les journalistes, d'une part, et elle-même de l'autre ont fini par lui donner avec les années. Je ne crois pas que chanter en playback à la cérémonie d'ouverture des JO soit un réel signe d'engagement personnel. Ce qui ne veut pas dire non plus qu'elle n'a pas donné son opinion de façon claire et tranchée, ou pris fait et cause pour une quelconque... cause.
Je suis fan de la voix de cette chanteuse, mais encore plus de toute la musique qu'il l'entoure.
Et aujourd'hui je crains d'admettre que comme beaucoup d'autres artistes ou groupes, je préfère quand elle se met à faire du bruit. Peu importe la très grande qualité de ses "ballades" ou chansons plus lentes et expressives ("Bachelorette" ou "Joga" ou même "Human Behaviour") j'aime toujours qu'il y ait un vrai beat derrière.
Ca me rappelle ce que je pense de Dionysos. (Bien) Meilleurs quand ils font du bruit, selon moi.

Avant même que je m'inquiète de me rendre sourd, cette appétance pour le bruit me fait dire que c'est bien la frustration de quelquechose d'inassouvi qui parle chez moi, et chez nombre d'autres personnes je le sais.
Je ne citerai jamais le nombre de choses "pas bruitistes" que j'apprécie en musique. Ce serait trop long et trop peu significatif.
Finalement, qu'est-ce que la frustration au quotidien? Quelque chose qui vous bouffe l'intérieur du crâne tout au long de votre vie? Quelque chose qui vous motive pour avancer et faire de votre mieux pour arriver à vos fins?
Je n'en sais rien. Je ne pourrais pas être objectif, déjà.
La connerie ultime vient très jeune, quand on accepte la frustration comme une fatalité inattaquable de face. Ce n'est que quelques années plus tard, quand il est bien trop tard qu'on se rend compte de l'erreur qu'on a commise. Parce que la frustration s'est incrustée partout: dans vos études, dans votre boulot (si vous en avez un), dans vos projets, artistiques ou non, dans chaque aspect de votre vie, sociale, familiale, sentimentale et sexuelle. Chez les plus chanceux, elle se tait dans quelques uns de ces domaines. Pour les autres, elle pourrit à un endroit, s'infecte et fait des méthastases partout ailleurs.
Elle s'immisce en eux sans tapage, justement, pour les faire plier petit à petit.
Et ce, très tôt, beaucoup trop tôt pour la majorité d'entre eux, ou nous tous, à ce que je crois comprendre en me renseignant un minimum sur les maux de mes concitoyens ou des autres humains en général.

Si vous me permettez de continuer dans la métaphore facile, la frustration c'est le monoxyde de carbone de l'esprit. Vous connaissez, ce gaz inodore et mortel dont on ne décèle la présence souvent que trop tard pour se sauver. A la différence peut-être que je ne sais pas si les personnes mortes intoxiquées par ce gaz souffrent beaucoup.

Je me renseignerai. Et faites attention quand même, s'il vous plaît, l'hiver approche, c'est la saison.

edit: ah et j'ai changé le fond d'écran du blog, plus sobre plus clair. Dites-moi ce que vous en pensez, merci.

edit2 du 9/12/O9: j'ai rechangé le fond d'écran pour l'ancien avec des volutes, comme me l'a conseillé la Grande Mady. ^^

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2 décembre 2009 3 02 /12 /décembre /2009 14:47

Ce titre fait référence de façon explicite à une chanson d'un de mes groupes préférés, Expérience. J'aurais des choses à dire mais j'ai comme qui dirait un coup de mou, alors je me contente de vous faire lire cette dernière nouvelle envoyée en 2004 au PJE, en même temps que "Morioka no Sayaka". Vous imaginerez que ça n'ait pas plu, et que mes intentions premières n'ont pas été comprises du tout, une fois de plus. J'ai assez (litote, toujours) peu apprécié le "conviendrait à un lectorat de moins de 16 ans, au plus" mais ai digéré depuis, quand même. On se retrouve mal jugé parce qu'on essaye de sortir comme on peut des sentiers battus. Je ne me justifierai pas. Ceci est juste un dialogue intérieur à la con comme chacune et chacun d'entre nous peut en avoir, n'importe quand. Bonne lecture quand même. J'essaierai mieux demain.




            Ne rien attendre                                                 


   « Il ne faut rien attendre de moi, tu sais… » m’avait-elle dit soudain, au milieu d’une ville nocturne comme les autres. Loin de nous, à travers les bruits de moteurs frustrés de klaxons fatigués ou de sirènes éteintes je pus entendre distinctement un chien hurler à la mort. J’ignorais si de son côté elle avait le cœur à y prêter attention. J’en doute. Elle n’aimait pas les chiens, et encore moins les chiens qui hurlent à la mort. Ajouté à cela qu’il ne fallait rien attendre d’elle. Dommage et désolé pour le roquet au timbre de ténor et pour tous ses congénères mais j’avais nettement plus de raisons que lui d’être triste. Il ne fallait rien attendre d’elle. On a beau le savoir, on a beau s’y « attendre » cela fait toujours de la peine. Je l’avais senti venir, pourtant, je l’avais senti venir dès notre première rencontre. Elle était mignonne à croquer mais le croisement de nos regards avait fait un gros flop. Oui, c’est le mot, un flop. Un plouf. Comme une pastèque lancée dans une piscine, le goût sucré en moins. On supposera que je suis la pastèque, elle la piscine ; car elle avait les yeux très bleus. Mais n’allez pas croire pour autant que je sois un albinos à la peau verte. Je donne simplement la pastèque en guise d’exemple de truc lourd et lent du bulbe ; car chacun sait que le Q.I. d’une pastèque n’a rien à envier à celui d’un animateur de télévision du samedi soir. Quoi que l’on puisse dire j’étais tout simplement mal barré avec elle, depuis le début, dans tous les sens du terme. Elle me plaisait beaucoup, pourtant, vous l’aurez compris. Selon moi objectivement douce gentille drôle et futée. Mais puisqu’il ne fallait rien attendre d’elle… En fait je me demande si ce n’est pas là la pire chose qu’une femme quelle qu’elle soit puisse dire à un homme quel qu’il soit. Ce n’est pas parce qu’on ne représente rien qu’on n’a pas droit à un minimum de considération, je pense. Même le néant a ses théories et ses théoriciens. Ainsi suis-je convaincu qu’elle n’a jamais éprouvé ne serait-ce que le moindre soupçon d’intérêt pour moi. J’étais plus que transparent ou vide ou inexistant à ses yeux. D’une certaine manière je pourrais m’en vanter. Ce n’est pas rien d’être complètement rien, je pense. Et le néant à un je-ne-sais-quoi de classe dans la connotation, je trouve, une sorte de douce odeur de fin du monde, en un mot, il symbolise de la meilleure façon ce vide caractéristique que le regard d’une femme vous renvoie avant même que celle-ci se rende compte que vous ne l’attirez pas. Vide qu’avec mon expérience je suis passé maître dans l’art de déceler en moins de temps qu’il ne faut à une pauvre pastèque tombée sur l’autoroute A6 un 15 août pour se faire écraser par un vacancier sans pitié pour les cargaisons des remorques de ses congénères, si tenté que l’un de ces congénères ait la drôle d’idée d’emmener une pastèque avec lui en vacances dans sa remorque. Cela a l’avantage d’éviter les pertes de temps ou de longues embardées dans le ridicule. Il ne fallait rien attendre d’elle. Soit.

   Il ne fallait rien attendre d’elle, mais c’était elle qui m’avait aperçu par hasard en train de traverser la rue, c’était elle qui m’avait interpellé. Il lui avait fallu crier très fort parce que depuis quelques mois je ne me séparais plus du baladeur MP3 qu’un richard de mes amis m’avait donné, et avec lequel je prenais un réel plaisir masochiste à me rendre sourd. Oui, je suppose qu’elle a crié très fort, elle a crié mon nom très fort et je ne l’ai pas entendue. Alors c’est elle qui est venue à moi, elle a même un peu couru, je crois, elle m’a contourné et s’est posée devant moi avec un grand sourire. J’ai dû prendre mon air niais de d’habitude, puis bafouiller quelques mots de surprise que j’ai probablement réussi à enrober d’autres mots d’excuses foireuses, parce que je me rappelle qu’elle a ri. Mes oreilles sifflaient un peu. J’ai dû avoir l’air vraiment stupide. Mais elle a ri. Peut-être n’était-elle non plus pas vraiment à son avantage dans cette situation. Très légèrement essoufflée, les joues rosies par le froid léger ; il faisait nuit mais le rouge de ses joues déteignait dans les lumières des réverbères. Elle n’avait pas mauvaise haleine mais on sentait qu’elle avait bu et fumé. Ses yeux étaient clairs malgré tout. Elle parlait tout doucement, comme si m’avoir crié dessus l’avait gênée et qu’elle voulait se rattraper. Parfois je devais me pencher sur elle pour mieux l’entendre et, loin au-dessus des odeurs de fumée ou d’alcool, ses cheveux envoyaient leurs parfums multiples d’essais à répétitions de shampooings de toutes sortes de toutes provenances. Alors elle reculait imperceptiblement, toujours avec le même sourire aux lèvres, sans hausser la voix, peut-être un peu plus intimidée, et continuait à me poser des questions soit insignifiantes soit tout à fait sensées, mais toujours irrésistibles dans l’intonation. Mes oreilles sifflaient un peu. Ses yeux étaient clairs, malicieux, peut-être un peu fatigués mais craquants par leur fatigue même. Ils inspiraient puis expiraient la satisfaction et la joie de vivre comme de véritables poumons. Pourtant dans chacun de leurs souffles je pouvais percevoir le message premier. Il ne fallait rien attendre d’elle. Mes oreilles sifflaient un peu. Il ne fallait rien attendre d’elle et toutes les pastèques rouges roses et vertes du monde et toutes les piscines olympiques du monde se rallieraient à ma cause d’amoureux transi – diable que j’ai horreur de cette expression – que cela ne changerait pas le problème. De mon côté il fallait que j’assume, quand elle était près de moi, les sourires, les yeux bleus, les plaisanteries les exclamations les silences, quand elle était loin de moi, tous les moments interminables où elle me manquait, sans ses sourires, ses yeux bleus, ses plaisanteries ses exclamations ses silences. Mes oreilles sifflaient un peu. Mais qu’importe la souffrance, que valent les atermoiements inutiles, les plongeons, puisqu’il ne fallait rien attendre d’elle. Surtout ne pas se poser de questions, surtout ne pas se poser de questions.

   Il est fort probable que j’aie trop attendu de sa part. C’est même certain. Personne ne me blâmera je pense, c’est une réaction humaine. Je pense. Je souhaiterais juste ne pas avoir à le formuler à haute voix. Question de dignité. Un homme a le droit de taire ce genre d’erreurs. Elles ne concernent personne d’autre que lui. Il est libre. Plus que libre. Plus que triste, mais plus que libre. Et ne lui demandez pas ce qu’il compte faire de sa liberté dont, dans ces moments interminables, il se fout comme des cotations boursières d’il y a 30 ans. Je tiens à préciser ici que dans mon cas, même les nouvelles les plus récentes de Wall Street ou de Tokyo ne me font ni chaud ni froid, y compris et peut-être surtout lorsque je suis en pleine forme. Chose étrange qui m’arrive, parfois, sans prévenir. Le fait est qu’on ne donne jamais le cours de la pastèque, ni celui des piscines privées ou même des piscines olympiques. Ce serait intéressant, pourtant. Il paraît que d’après l’état du Marché on peut prédire l’avenir de la planète. Le Marché passe pour un devin. J’ai entendu quelque part que depuis les origines de l’Humanité, les devins et les diseuses de bonne aventure, les voyantes lisent dans toutes sortes de choses pour prédire l’avenir. Je me demande si dans les entrailles d’une pastèque chlorée, l’un d’entre eux ou l’une d’entre elles aurait pu m’avertir de ma future déconfiture, ou même prédire que je ferais ici même, involontairement je vous le jure, un jeu de mot doublé d’une allitération absolument nulle, et pourtant tellement à l’image de mon esprit perturbé. Je me demande si une pastèque aurait pris ses plus jolis pépins pour écrire à mon intention au fond d’une assiette quelconque « Méfie-toi, méfie-toi bien, il ne faudra rien attendre d’elle ». Le fait même que je me flagelle à écrire ceci laisse à croire que je ne sais toujours pas écouter ma « pastèque intérieure ». Quel dommage. Quel manque de discernement. Quel déni d’introspection. Cela aurait pourtant permis de me protéger d’une partie des troubles qui m’affectent encore aujourd’hui. Je dirais que ma vie a toujours manqué de sucre, mais qu’importe. En fait c’est peut-être une chance si on considère le sucre comme le futur premier poison mortel du XXIe siècle. Mais qu’importe. Dans tous les cas il n’aurait quand même rien fallu attendre d’elle.

   Il ne fallait rien attendre d’elle. Plus on les écrit plus les phrases perdent leur sens. Je dirais que ça peut être une bonne thérapie pour tous les malheureux muets qui n’ont pas accès à la méthode Coué, ou tous les gens intelligents qui ont compris depuis longtemps que cette méthode Coué ne marche jamais, et encore plus les malheureux muets intelligents qui n’y ont pas accès mais qui ont compris depuis longtemps qu’elle ne marche jamais. Bien qu’en y réfléchissant un peu, je ne voie au final pas comment la méthode Coué pourrait marcher, si elle marchait, dans un cas tel que celui-ci. Tout simplement aucun rapport. Comme elle et moi.

   Il ne fallait rien attendre d’elle. Continuons quand même, les pastèques sont avec nous. Il ne fallait rien attendre d’elle, mais moi j’avais envie de la prendre dans mes bras de l’embrasser de lui faire l’amour. Les pastèques rougissent, mais c’est la stricte vérité. Il ne fallait rien attendre d’elle, et malgré tout je suis un homme. Et aucun homme, quel qu’il soit, amoureux d’une femme, quelle qu’elle soit, ou tout d’abord fortement attiré par une femme, quelle qu’elle soit, ne pourrait supporter que cette femme, quelle qu’elle soit, lui dise qu’il ne faut rien attendre d’elle. Cela n’est pas humain. Les pastèques acquiescent. Mais bien sûr une femme, quelle qu’elle soit, peut tout à fait dire de façon claire à un homme, quel qu’il soit, qu’elle ne veut pas de lui ou qu’ils ne sont pas faits pour être ensemble. Cela n’est évidemment pas à remettre en cause. Les pastèques confirment, bien qu’un peu noyées dans ma rhétorique mal entretenue, infestée par des algues toutes plus étranges les unes que les autres. Mais qu’importe.

   De nous deux je ne sais qui avait au final le moins de choses à dire à l’autre. Moi, probablement. Admettons, pour une fois. Elle me raconta que sa prof d’histoire de l’art était morte d’une crise cardiaque deux jours auparavant, en faisant de la natation à un rythme trop élevé pour ses capacités et son âge. Elle ajouta qu’elle la détestait, et qu’elle avait honte de ne pas ressentir la moindre tristesse ou le moindre remords d’avoir été si peu attentive en cours. Je ne sus pas plus que d’ordinaire dire quelque chose d’intelligent.

   Puis nous nous sommes quittés, elle, avec ses yeux bleus avec son sourire et ses mots gentils et ses silences, moi, dans l’obscurité absolue. Arrivé dans mon appartement je me suis écroulé sur le lit, exténué, le visage enfoncé au plus profond de la couette. Puis je me suis retourné, après cinq minutes en apnée. J’ai fixé le plafond blanchâtre. À la lumière du néon il prenait la même couleur que l’intérieur de l’écorce d’une pastèque. Dehors on pouvait entendre copuler deux chats du quartier. Chez cette espèce la femelle souffre toujours beaucoup pendant l’accouplement, à cause du mâle et de son pénis hérissé comme un harpon.

   Il ne fallait rien attendre d’elle.

   J’avais prévu de pleurer le lendemain.

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1 décembre 2009 2 01 /12 /décembre /2009 02:00

   Hors de question que je touche à cet argent. Jamais eu beaucoup de certitudes dans la vie. Elles sont si rares, j’y tiens.  

   L’horloge sonna deux heures. Je sursautai faiblement, prise par la banalité du temps qui passe sans se soucier de ce qui se passe. Mais après tout, entre nous, qu’est-ce que trente minutes perdues sur un canapé à ne rien faire face à la durée d’une vie ? Très peu de chose non ? Attention, il y a ne rien faire et ne rien faire, ne confondons pas. Il y a en définitive une infinité de façons de ne rien faire ; à peu près autant que d’êtres humains, je dirais même. Vous aurez le rien faire misérable, le rien faire glorieux, le rien faire mérité, le rien faire qui s’ignore, le rien faire avec un bout de salade entre les dents, le rien faire plein de remords, le rien faire anxieux, le rien faire décontracté, le rien faire insouciant, le rien faire inconscient, le rien faire qui se croit déjà omniscient, le rien faire imbu de sa personne, mais aussi le rien faire suicidaire, le rien faire sous somnifères, le rien faire constipé, le rien faire pur, le rien faire reposant, le rien faire dégradant, le rien faire qui s’emmerde – ne l’oublions pas celui-là, il existe aussi je crois – le rien faire sans cerveau apparent ou le rien faire qui réfléchit trop et rien qu’avec ce petit aperçu vous pourrez déjà vous amuser à faire (si, j’ose le jeu de mots) des combinaisons : du plus triste, le rien faire misérable anxieux plein de remords, constipé et qui s’emmerde, au plus heureux, le rien faire insouciant pur et reposant. Le but de la manœuvre étant bien entendu de trouver la recette du rien faire absolu. Ici je refuse d’évoquer les gens qui se disaient – souvent à raison – incapables de ne rien faire. Ce sont des personnes selon moi tout à fait méprisables, comme la majorité des être humains qui peuplaient cette planète. Je parle à l’imparfait car ce sont eux les premiers à avoir été décimés. J’imagine de fait que vous qui me lisez et qui êtes bien vivant(e) vous saviez aussi bien que moi ce que c’était que ne rien faire et que c’est probablement ce qui vous a sauvé la vie. Vous connaissiez l’amertume de ce temps qui passait et le dégoût pour tous ces gens qui brassant beaucoup d’air n’allaient au final pas plus loin que leur voisin. Ne rien faire est un art – tiens, encore une certitude qui se pointe – et les excités du bocal qui cherchaient par tous les moyens à nous faire culpabiliser doivent sûrement regretter, du fond de leur trou, de ne jamais avoir pu ou simplement voulu le pratiquer.

   J’étais sur mon canapé, disais-je, à ne rien faire ou si peu, donc, enveloppée dans mes réflexions égocentriques comme dans une toge très mal foutue. Les fenêtres ouvertes laissaient pénétrer l’air bruyamment vicié de la rue d’un côté et celui faussement plus calme et propret de la cour de l’autre. Je remarquai que les deux, au lieu de traverser l’appartement et d’emmener avec eux leur frère d’intérieur – objectif premier de toute aération - préféraient s’opposer frontalement et le prendre en sandwich comme un pauvre prisonnier politique condamné à rester enfermé et torturé dans son pays parce qu’abandonné par la communauté internationale. Pardonnez la comparaison boiteuse mais il ne faisait étrangement pas assez chaud pour parler de gaufre aérienne.

   Les différents courants finirent pourtant par se faire oublier. En face de moi sur la table du salon, dans mon sac, se trouvait quelque chose qui m’intriguait. Pendant le retour de chez Sylvain j’avais eu tout le temps de me réinsérer l’image de ces feuillets dans le crâne. Pourquoi m’étais-je retenue de les lire relire dans le bus ? Pourquoi me retenais-je encore de les sortir de mon sac maintenant que j’étais confortablement installée dans mon canapé à ne rien faire de la plus pure des façons je le répète ? Je n’en sais fichtre – encore un mot perdu pour l’éternité – rien. Dans tous les cas je butais contre quelque chose de méconnu, entre l’excitation et la peur de la déception, la flemme et le dégoût du risque, sur lequel je n’arrivais, comme souvent, pas à mettre de mot. Ce n’était pas ces notions elles-mêmes qui m’étaient obscures, loin de là, et au contraire sans prétention je crois en connaître un rayon sur chacune d’entre elles séparément, mais plutôt le cocktail trop difficile à doser de ces différents ingrédients. Si vous voulez une image, je me sentais très conne avec mon shaker vide dans les mains et mes tonnes de bouteilles pour reproduire ce qui vivait dans le verre opaque de ma conscience, sans avoir la moindre idée de ce qu’était cette substance. Certains pointilleux rétorqueront que tous les cocktails ne requièrent pas forcément un shaker, mais je leur répondrai à mon tour que cet objet et son utilisation conviennent plus que parfaitement à l’idée que je me fais du bordel liquéfié qui règne dans mon cerveau.

   Une bonne comparaison ça se cherche – un minimum – ça s’écrit et ça se garde, peu importe l’effet que ça donne à la phrase, peu importe le côté forcé de la chose je ne suis pas écrivain ; mon cerveau est un shaker, voilà. Je l’oublierai pas.

   J’étais allongée sur mon canapé à ne rien faire, et cela aurait pu durer beaucoup, beaucoup plus longtemps. Mais miracle, par je ne sais quelle opération d’une force supérieure je me suis levée. Je me suis levée je me suis avancée et j’ai fait ce qu’il fallait que je fasse : j’ai relu le début et continué la lecture des feuillets sortis de ma somnolence anesthétisante et pourtant bien réels. Ils semblaient n’attendre que ça et bruissèrent de joie lorsque je les tirai hors de mon sac. Je me rassis aussitôt avec lourdeur sur la première chaise qui me tomba sous la main. La force supérieure était une petite nature. Depuis mon dernier oral désastreux, j’avais – oublié - à peine réalisé combien il m’était difficile de rester debout sans bouger. Je resongeai à la prof qui m’avait coupé les jambes, même assise. Du point de vue strictement moteur, je m’étais, en moins de 24 heures, inéluctablement transformée en voiture de jeu vidéo des années 80. Décor arrêté égal game over. Ou canapé vide de toute réflexion constructive. Ou shaker mal aéré. Ou encore, dans le meilleur des cas, nuit de baise sans la moindre pensée pour le nouvel homme de votre vie. Aucune trace de Kurt Cobain ou des spaghettis frais. Quant au coucher de soleil, il serait tellement pixellisé que ça ne vaut même pas la peine de le mentionner.

   Les premières – la première – phrases et le style pachydermiquement métaphoireux que j’avais trouvés disons-le ridicules la veille m’apparaissaient maintenant plus clairs et pas forcément moins pédants. Mais à la différence de la veille, j’étais alors assez réveillée pour une lecture critique de ce que j’avais devant les yeux.

 Nous sommes des monstres. Nous avons bâti des mondes. Plein. Nous en avons détruit. Plus. Incipit limpide, mais déjà bien pesant, avec deux phrases réduites à un mot, et une répétitivité pas plus ballerinesque. Dès notre naissance la puanteur nous appelle à crier, inconscients et faibles, à la limite de la survie. C’est à partir de là que ça se gâte rapidement. Puis c’est au tour des Hommes de nous prendre sous leurs ailes défraîchies. C’est leur sang qui coule dans nos veines, et nous nous devons de le faire perdurer malgré nous, à travers la guerre, la souffrance et l’aveuglement. Pas besoin d’avoir fait de longues études pour voir dans ces quelques mots autre chose que de la misanthropie pure. À noter que malgré l’utilisation d’un « nous » encore une fois peu ambigu et très éléphantesque – je reste sur mon idée de gros machin qui avance en croyant savoir écrire – l’auteur de ces lignes arrive à se déresponsabiliser d’emblée, ainsi que ses hypothétiques lecteurs, face aux générations antérieures. Attitude détestable, si je puis me permettre de donner mon opinion. Dans nos esprits l’obscurantisme construit depuis des millénaires les dieux et les croyances dont il se nourrit pour mieux s’y répandre. Là, il introduit, façon éléphant en manque dans un magasin de porcelaine – désolée d’insister – la notion de religion et surtout d’athéisme, à travers l’idée d’obscurantisme, pas récente – vive les litotes – voire obsolète dans ce contexte, mais ceci n’est encore une fois que mon opinion personnelle. Si la plus belle invention du Diable est de nous faire croire qu’il n’existe pas, celle de l’Ignorance est de se laisser volontiers gravement mésestimer. C.Q.F.D. Notez la majuscule à Ignorance. Et quoi de mieux que la Religion pour maintenir l’Humanité dans l’Ignorance ? Idem. Les majuscules donnent un aspect extrêmement pédant à l’ensemble, comme je le disais plus haut. Première phrase interrogative, censée encore une fois rapprocher l’auteur et son lecteur face au reste des « Ignorants ». Les termes Connaissance et Dieu sont les deux plus parfaits antonymes qui soient. Car la Connaissance revêt une infinitude de visages, et que Dieu n’est rien de plus qu’un masque simpliste. Par réflexe j’avais recopié « infinité » la première fois mais c’est bien d’ « infinitude » qu’il s’agit. Si ça c’est pas un néologisme de mes deux, alors je sais pas ce que c’est ! À moins que l’auteur ne soit beaucoup moins cultivé que ce que sa fausse et bancale érudition stylistique ou philosophique essaye de nous prouver. Pathétique plus qu’érudit, en fin de compte… Son omniprésence dans les esprits les plus faibles et influençables ne se justifie que par le fait qu’Il permet de couvrir d’une lumière factice ces visages qui nous resteront à jamais obscurs, êtres inachevés que nous sommes, imparfaits à en devenir risibles. La suite que vous attendez toutes et tous arrive enfin. Cette longue phrase à la lecture de laquelle un hippopotame – essai de variation sur un même thème, mais je ne suis pas Bach ou Mozart – ne saurait rougir. Je compte faire moins de commentaires pour l’instant, afin de vous laisser seuls juges. Et par flemme aussi vous l’aurez compris.

   Nous sommes des monstres, cela est absolument indéniable. Nous n’avons jamais aimé notre prochain, nous ne l’aimons pas et ne l’aimerons jamais. Eurk, désolée, mais la répétition me reste en travers de la gorge. On dirait du MC Solaar sous antidépresseurs. Nous lui dissimulons notre véritable apparence, tout en gardant au fond de nous l’espoir que lui-même aura une face cachée encore plus hideuse que la nôtre. Tel est le lot de tout homme doué de ce que nous nommons « intelligence ». Mais aujourd’hui le point de non-retour a été franchi, car, au fil des générations, après des siècles d’empoisonnement par l’Ignorance, et malgré l’apparition des sciences exactes, cet espoir s’est peu à peu mué en conviction, puis en certitude. Pour sa défense, je dois dire que je trouve que le ton s’améliore dans ces dernières phrases, peut-être parce qu’il se met enfin au même niveau que tous ceux qu’il accuse. Mais chut j’ai dit que je me taisais… C’est cette certitude qui, rebattue rabâchée en des termes bien entendu tout à fait différents dans les églises, dans les temples, dans les synagogues ou les mosquées, a forgé notre soi-disant société moderne, et c’est par elle que cette société moderne périra. Fin du deuxième paragraphe. Le corps du sujet arrive mais chut… serait-ce une banale annonce de fin du monde de plus ?

   Nous sommes des monstres et chaque seconde qui passe nous rapproche un peu plus de l’heure où il va nous falloir payer pour nos crimes. Très bientôt nous serons démasqués. Nous en souffrirons au-delà de ce que les mots peuvent décrire. Une souffrance telle que ces mots s’effaceront devant elle. Une souffrance si intense qu’elle nous prendra à notre image, en traître, et nous rendra muets. La souffrance physique à son paroxysme sans même un cri pour l’exprimer. Le juste retour de notre monstruosité, le juste châtiment pour nos exactions. C’est à travers cette douleur sans nom, dans ce mutisme torturé au fer rouge que nous prendrons conscience du Mal que nous avons inlassablement perpétré, sans l’aide d’un quelconque diable, et au nom de croyances qui ont, malgré ce que notre prétention nous laisse à penser, à peine changé de nature depuis les origines. Depuis les religions primitives et après les polythéismes grec ou romain nous sommes arrivés au monothéisme de l’argent, dont le prophète serait l’hypocrisie généralisée de nos sociétés occidentales actuelles, qui elles-mêmes se barricadent férocement derrière la sacro-sainte muraille de l’individualisme. Fin du troisième paragraphe, mais vous l’aurez constaté vous-même. Si tout ceci vous laisse perplexe, surtout ne vous inquiétez pas, c’est tout à fait normal la première fois. Pensez « misanthropie éculée » et vous aurez tout compris.

   Nous sommes des monstres et nous le savons. Nous sommes des monstres et nous le cachons. Nous sommes des monstres et nous le nions. Au cas où quelqu’un aurait pas pigé, là-bas dans le fond.

   Maintenant faut-il pleurer ? Faut-il se dominer ? Faut-il tuer ? Personne n’est à même de répondre. Aucun d’entre nous n’est capable d’esquisser ne serait-ce que le moindre mouvement inverse au sens des aiguilles du calvaire dont nous sommes tous les victimes et les bourreaux à la fois. Ceux qui pensent malgré tout y être parvenus s’auto-proclament « messies ». Et c’est ainsi que naissent et meurent les religions, en se nourrissant les unes des autres, jusqu’à épuisement, au moyen de prêches, de livres et de massacres en règle d’autres formes de pensées plus faibles.

   Dieu n’existe pas. Et moi j’aurais mieux fait de relire Nietzsche… Aussi longtemps que certains, même en nombre infime, continueront d’être convaincus du contraire l’espèce humaine ne pourra jamais s’épanouir pleinement et vivre en paix. En face de ce vide, de ce trou noir organisé, l’argent, lui, même abstractisé à l’extrême, existe bel et bien. C’est français, ça, « abstractisé » ? Il serait dramatiquement naïf de se laisser aller à penser que notre monde ne tourne pas rond, car ce serait nier le rôle majeur qu’y jouent l’économie de marché et les échanges financiers. Grâce à l’argent notre mondre tourne effectivement beaucoup plus rond qu’on ne l’imagine, et se dirige vers une issue unique : sa destruction. Et tant que cette prise de conscience ne se sera pas réalisée dans nos esprits ralentis par le capitalisme de masse, libéralisme lobotomisé ou le communisme décérébré de naissance et là je crois que je vais vous laisser digérer.

   À dire vrai, c’est exactement sur ce mot que j’ai dû arrêter ma lecture, pour la simple et bonne raison que c’était sur ce mot que la lecture elle-même s’arrêtait. Il manquait des feuillets et je ne m’en étais pas aperçue. D’un seul coup très énervée de me voir ainsi coupée dans l’élan qu’il m’avait fallu tant de temps à prendre, je retournai mon sac sur la table et cherchai comme une droguée en manque les pages que j’aurais pu y laisser par mégarde, étant donné leur format réduit. Mais rien, il n’y avait rien, rien de rien, elles n’y étaient pas. Ostenstiblement ouverts et étalés comme des épaves mon portefeuille mon classeur et ma trousse se payèrent ma gueule. Je les réduisis au silence en les balaçant de l’autre côté du salon. J’étais furieuse, pire que la veille après mon examen. Pourquoi je pouvais encore moins le dire, sinon que je voulais connaître le fin mot de ce texte ridicule et que je ne pourrais jamais l’avoir. J’avais fait l’effort de m’y intéresser mais rien ne me revenait en échange, comme d’habitude comme d’ordinaire comme toujours, on me laissait face à l’inachevé incompris telle de la merde de chien dans une rainure de semelle de chaussure. À moins qu’on me fasse jouer le rôle de la chaussure qui ne sait jamais où elle va et qui de toutes façons ne choisit jamais sa destination. Arrêtez, bon sang, arrêtez ! je suis déjà censée faire la voiture de jeu vidéo, et vous allez réveiller le décor… Furieuse, je l’étais à tombeau ouvert. Je l’étais max speed. No limit. No brakes. Le genre de colère à vous faire lever et tourner en rond à la recherche de quelque chose à pulvériser, ou au moins à détruire à faire souffrir. Avec les battements du cœur qui s’accélèrent et les oreilles qui sifflent et la tête qui cogne de l’intérieur. Les feuillets manquants avaient définitivement occulté l’ensemble du tout petit fond de bien-être qu’il me restait de la nuit. Sous la pression de cette colère mon corps et mon cerveau étaient en train d’expulser ce qu’ils pouvaient pour faire de la place, et je transpirais, et je pleurais, et mon nez coulait ; j’avais chaud de cette chaleur qui semble toujours ne vous prendre qu’à partir des amygdales. Puis soudain j’eus une envie inconcevable d’aller déposer le bilan, comme on dit parfois pour être drôle (en tout cas moi ça me fait rire) mais correct. Inconcevable car, je ne pense pas l’avoir évoqué, depuis que j’avais maigri je souffrais de grave constipation chronique, et, de ce fait, l’activité qui consiste à chier quand on a envie de chier, naturelle chez la grande majorité des êtres vivants, l’était devenue beaucoup moins pour moi. J’ai un peu honte de parler de ça, mais qu’importe, on dira que c’est juste pour que vous me connaissiez mieux. J’allais donc dans l’instant me vider avec un plaisir oublié, mais néanmoins terni par la fièvre à moitié saine qui m’envahissait en traître. Mon rapport à la défécation et au lieu même des toilettes s’étant malgré tout trop dégradé depuis ces quelques années, je n’y perdis pas mon temps, considérant que j’y avais trop souvent été enfermée contre ma volonté. Je sortis et me sentis sale avec mes vêtements de la veille. Je me fis couler un bain – chose exceptionnelle car je ne prends que des douches – et attendis sans rien faire d’autre qu’il se remplisse pour me rendre compte que j’avais encore plus besoin de jouir que la veille ; notamment à cause de la fin tellement pitoyable pour Sylvain, mais avant tout frustrante pour moi. Je me déshabillai assez rapidement et plongeai. L’eau chaude et la masturbation me détendirent plus que ce que j’aurais osé espérer.

   Je voudrais préciser qu’en général je n’utilise pas d’objets. Ou tout du moins pas dans le sens où les pervers l’entendent. Jamais je ne m’enfoncerai un de ces gros machins ridicules et démodés qu’on trouvait – je crois, j’y suis jamais allée en fait – dans les sexshops pas plus que je ne me caresserai avec ces autres bidules pseudobranchés – car ce n’est pas qu’on pouvait, mais qu’il fallait assumer son besoin de jouissance et à limite l’exhiber - en forme de tout et de n’importe quoi. Non, je préfère le traditionnel, je suis presque vieux jeu, de ce côté-là. Mes doigts me suffisent. Bien sûr il y a des choses que j’aime, les tissus par exemple, ou tout ce qui en forme de tuyau, de tube. Je l’ai dit j’ai un certain dégoût à rentrer autre chose qu’un vrai pénis, mes doigts à la rigueur – mais jamais jusqu’au bout - ou un tampon là-dedans. Je ne saurais déterminer pourquoi ; ça doit être mon inconscient qui travaille trop. En revanche je n’ai aucun scrupule à me caresser. Et ça, ça remonte à bien loin.

   C’est vraiment bizarre l’écriture, ça vous amène à dire des choses dont vous avez jamais parlé à personne, et la vérité vraie est que je comprends pas pourquoi je m’y mets maintenant, dans ces circonstances… Serais-je une exhibitionniste refoulée ? C’est toujours la honte, en fait… Mais bon, peu importe, je continue… J’autorise celles et ceux que ça n’intéresse pas à zapper le prochain paragraphe qui risque d’être assez long.

   Je crois avoir lu quelque part un jour qu’une bonne partie des petites filles ont eu leur première expérience en apprenant le vélo. Moi c’était plutôt la natation. Je m’explique. Déjà j’aimais beaucoup tirer sur mes maillots. Inconsciemment ou presque je les aimais petits, et je revois comme si c’était hier ma mère râler parce que je les craquais assez souvent mais que j’avais tendance à laisser ceux un peu plus grands au placard. Inconsciemment peut-être j’aimais sentir le nylon acryliqueux – et inventer des adjectifs - glisser et chauffer ma peau entre mes jambes et faisais en sorte qu’il glisse et chauffe plus que de raison. Et ça me faisait me sentir bien, sans que je comprenne pourquoi, sinon que maman me flanquait invariablement des baffes quand elle me voyait. Après quelques essuyades je me suis rendue compte que les attendre dans les endroits les plus incongrus aux moments les plus inattendus rendait la chose encore plus agréables au corps, qui chauffait un peu puis beaucoup plus fort démangeait doucement puis frénétiquement pour arriver à ces accès de douleur inversée dont la nature a probablement laissé des séquelles dans mes réflexes d’insatisfaite. Petite je ne voyais dans ce plaisir étrange que l’exact contraire de la douleur, et je doute que ma vision ait beaucoup changé depuis. Je me souviens maintenant de rougeoyantes fins d’après-midi à la plage où je profitais, sagement assise dans ma serviette, des somnolences de mes parents pour m’amuser avec mon minou et le maillot qui passait dessus. J’avais plein de choses à essayer je ne m’ennuyais jamais. Je niais l’aspect répréhensible de mes actes, et je prenais plaisir dans cette négation, car je considérais à raison qu’ils n’étaient répréhensibles que parce que ma mère voulait à tout prix me rentrer dans la tête qu’ils étaient répréhensibles. Quitte à me frapper. Et elle m’a pas mal frappée. Et j’ai résisté, je n’ai pas cédé à cette démonification – je n’utilise jamais le mot diabolisation ça me rappelle les porcs d’extrême-droite – de ce plaisir de n’écouter que moi face aux multiples souffrances cérébrales et physiques que mes parents me faisaient endurer, chacun dans leur genre. Bien sûr, encore une fois j’étais trop petite pour en être consciente ; je suppose que cela tenait de l’Instinct – ben merde alors je me mets à placer des majuscules comme l’autre mégalo, ça va pas du tout ! – On me faisait du mal, je me soulageais. Rien de plus. Réaction de défense normale contre l’ensemble du monde qui m’entourait. J’étais une enfant finalement assez banale. Je ne comprenais rien et comprenais tout. Je n’ai fait que lutter avec ces quelques armes que je m’étais inventé. La négation, le silence, la patience, l’imagination, le plaisir et la haine aussi, peut-être. Les exemples pleuvent sur ma mémoire et – je l’ai dit - je n’en suis vraiment pas particulièrement fière. Je me limiterai donc au suivant, qui reste dans le sujet. Chez mes grand-parents il y avait une piscine ceinte par un muret en vieille pierre franchissable sans aucun effort par un adulte de taille moyenne ; c’est-à-dire qu’avec un peu d’exercice on pouvait le franchir sans le toucher, pourvu qu’on ait les jambes un peu longues. Pour les petites comme moi il fallait nécessairement le passer à califourchon. Or ce vieux muret était couvert d’une mousse épaisse dont la douceur inégalable en a fait mon premier amant, si j’ose dire, toutes proportions gardées. Dans le souvenir que j’en garde il me calmait mieux que n’importe quel autre remède. Je n’avais pas le droit de rester toute seule à la piscine, et les adultes autour de moi me surveillaient avec plus d’attention, ce qui m’obligeait à me tenir sage quand bien même mon petit bas-ventre rageur me sollicitait pour m’attarder sur les plus grosses mottes de mousse du muret. Je ne comprenais moi-même en vérité pas toujours pourquoi j’étais toujours partante pour aller chercher quelque chose dans la maison, pourquoi j’avais toujours envie de me frotter dessus, si possible à travers le maillot, voire toute nue, même si ma mère ne supportait pas de me voir déshabillée. Chose qui arrivait assez souvent, finalement bien plus malgré moi que malgré elle, je me rappelle. Et c’est là qu’elle me frappait et frappait encore, mais jamais aussi fort que mon père, alors ça n’avait pas trop d’importance. Je me débrouillais pour être discrète, même si elle ne me lâchait que rarement de ses grands yeux. Avec du recul, je me dis que je serais incapable de savoir ce qu’elle ressentait pour moi. De l’amour peut-être, d’une certaine façon, bien que j’en doute beaucoup, de l’incompréhension sûrement, dans ses regards horrifiés ou suspicieux. De la jalousie sans aucun doute, tout au long des quelques années qui ont séparé ma naissance de sa mort. Jalouse de quoi je ne sais pas plus que le reste. Le reste le reste l’important reste que j’ai réussi, et j’en suis fière, à me débarrasser de la question il y a longtemps, avant même l’accident je pense. J’avais besoin de ce muret un point c’est tout. J’ai écrit plus haut que ça me faisait me sentir bien partout ; ce sont des mots très simples que j’aurais pu utiliser toute petite si j’avais osé en parler. Non, ça y est je remets, je voyais ça comme « le contraire d’une décharge électrique », parce qu’il m’était arrivé de me prendre des coups de jus avec la prise de ma console de jeux. Car oui, j’avais une console de jeux. L’un des seuls, sinon le seul caprice auquel ma mère avait cédé.

   Décharge électrique, console ou pas, dans mon bain tiédi, après avoir bien pris mon temps à repenser à ce qui fut et qui ne sera heureusement jamais plus je finis par jouir comme on met fin à une session. Un orgasme qui me ressemblait, férocement désemparé, les nerfs à vif la chair prête à se laisser arracher. Puis tout qui retombe en harmonie. On dit souvent que ça donne la peau douce, et je veux bien le croire, mais en ce qui me concerne je ne l’ai jamais remarqué, j’ai toujours imaginé que c’est mon cerveau qui en ressort au final le plus apaisé. Soulagée, donc, détendue, donc, étalée de tout mon long au fond de la baignoire je réalisai que l’eau avait quelque peu rougi entretemps, et pestai une nouvelle fois contre mes menstruations, avant d’ouvrir la bonde et de me laver une bonne fois pour toutes.

   Et une fois bel et bien propre habillée de propre, il me fallut encore me motiver pour me rendre constructive. Il était un peu plus de quinze heures 20 et outre le fait de m’avoir relaxée la masturbation m’avait par bonheur aussi permis de me rendre sourde aux coups de la foutue horloge familiale. Que vais-je faire ? Argh la question se posait-elle ? Non, bien sûr, j’avais envoyé Bécaud bouler bien loin (vous vous souvenez plus de la chanson ?), mais cela n’empêchait pas par exemple mon frigo d’être vide comme celui d’une étudiante boulimique ou fauchée ou trop soucieuse de sa ligne, et que j’allais sous peu devoir penser à le remplir. Mais on était dimanche, et dans notre ville, malgré toutes ses qualités, réussir à faire des courses ce jour de la semaine tenait du tour de force. Pourtant, c’était prévisible, j’allais avoir faim et soif, probablement autant que la veille. Par rapport à ce genre de choses, je préférais en général prendre les devants. J’étais une pauvre petite fille riche qui pouvait manger à sa faim, quand elle daignait bien vouloir sortir pour se planter comme un balai à chiottes dans les files d’attente des caisses de supermarché. J’ai travaillé dans ce genre d’endroits je les connais bien, et c’est de là que viennent une bonne part des vérités que je me suis faite m’étais auto-inculquées sur la triste condition humaine.

   L’homo sapiens mâle ou femelle n’a jamais l’air plus pathétique et inutile que lorsqu’il fait ses courses – parce qu’il faut bien manger pour vivre - et qu’il reste planté là dans la file d’attente à attendre pour payer en se préparant à râler, intérieurement ou non, parce que tout est trop cher et qu’il le sait et qu’il a raison mais qu’il finit par payer quand même parce qu’il n’y a rien d’autre à faire, sinon râler, intérieurement ou non, parce que tout est trop cher, et plus pitoyable que - car l’homo sapiens est bourré de paradoxes et de « ressources » - lorsqu’il qu’il fait ce qu’il fait le mieux, à savoir la gueule, et ne va dire ni bonjour ni merci ni au revoir à la caissière - ou au caissier, oui l’homo sapiens a découvert l’égalité des sexes – pardon l’hôtesse de caisse – il a aussi inventé le politiquement correct – qui à force de voir des homo sapiens râler et ne lui dire ni bonjour ni merci ni au revoir va se mettre à sombrer, inconsciemment ou presque, dans la technique dite du « miroir clientèle », et va râler à son tour, intérieurement ou non, faire la gueule sans dire ni bonjour ni merci ni au revoir, par simple réaction instinctive de défense, et aussi parce qu’elle sait que tout est trop cher et qu’elle a raison, mais prendre l’argent quand même, parce que si elle ne le prend pas elle sera virée, ne touchera plus son maigre salaire et ne pourra donc plus aller plus tard, pathétique et inutile et pitoyable, faire ses courses de son côté - parce qu’il faut bien payer pour manger pour vivre - se planter dans la file d’attente pour attendre et râler, intérieurement ou non, parce que tout sera trop cher et qu’elle le saura et qu’elle aura raison mais qu’elle finira par payer quand même parce qu’il n’y aura rien d’autre à faire, sinon râler, intérieurement ou non, parce que tout sera trop cher.

   Ceci n’est qu’une des mes théories de l’époque. Je voyais les choses ainsi, à l’époque. Avant. Depuis l’homo sapiens et ses caissières ont beau avoir disparu, je ne regrette pas et ne pense malgré tout pas m’être trompée. Quelquefois je me sens juste un peu atrocement seule.

   Après de sévères tractations avec mon moi glandosophe – je reviendrai plus tard sur cette notion très importante de glandosophie que j’ai déjà abordée un peu plus haut - qui ont duré le temps de trois sonates pour piano de Mozart sur mon cher canapé je décidai donc de sortir à la recherche de magasins ouverts. En franchissant la lourde porte de mon immeuble je me sentis assez légère, danke schön Wolfgang, et il faisait au moins aussi beau que le matin. Beau et chaud, aussi, malheureusement, mais je m’étais habillée en connaissance de cause, le genre de tenue qui parfois vous fait traiter de salope d’allumeuse ’m’en fous j’ai trop chaud, pour que la température me soit plus supportable, et c’était efficace, mine de rien. Dans tout le centre-ville le ciel bleu déteignait sur les hauts murs gris-beige. Les homo sapiens arboraient alors leurs tronches plutôt réjouies du dimanche. Mais moi j’avais une fois de plus faim et errais sans but sinon un endroit où remplir un caddie. Malheureusement encore j’eus la mauvaise idée de me retrouver devant un de ces restaurants soumis à l’arche puante alors que sortait un client à l’air blasé, et l’odeur pestilantielle de friture saturée de sucre m’attira à l’intérieur comme une drogue dure. Cela faisait une éternité que je n’étais pas entrée dans un de ces machins, et j’en étais on ne peut plus fière. Comme avant d’envoyer paître des mois voire des années de cure de désintoxication. Il n’y avait que très peu de monde. Je jetai un œil à ma montre 17 heures 36. Normal. Cela ne me dérangeait bien évidemment pas. Je m’approchai de la seule caisse ouverte et la puanteur se fit de plus en plus insupportable et irrésistible. Elle était tenue par une Noire sculpturale répondant, selon la petite étiquette en plastique épinglée sur la magnifique poitrine, au doux nom de Naomi. Je manquai de rire. Dans de telles circonstances, cela évoquait autant Naomi Campbell pour la forme que Naomi Klein pour le fond. Mais sans vouloir me montrer insultante je doute que Naomi ait déjà entendu parler de Naomi Klein. J’ai dit sculpturale et je maintiens, mais force était de constater que la fatigue évidente et la lassitude non moins compréhensible de Naomi ne la rendait ni aguichante, ni serviable ou encore moins aimable, pas plus qu’elle ne lui donnait l’air intelligent. Néanmoins chacun sait qu’on pardonne tout à la perfection physique. Ainsi je laissai passer l’impolitesse et commandai mon menu sans broncher face à sa trop belle trop lisse tronche de cake, ni même resonger au fait que très très souvent il y a des baffes qui se perdent très très loin. C.Q.F.D. Le premier étage était à l’image du rez-de-chaussée ; quasi-désert. Je m’assis dans un coin de la salle et avalai en moins de deux petites minutes avec un plaisir inexpliquable mon hamburger froid, tout de traviole et gluant. Les doigts pégueux j’attrapai mon usine à rot avant d’attaquer les frites en essayant tant bien que mal de prendre un peu mon temps. Je n’avais pas tout à fait mangé le tiers du maxigros cornet que deux gamins, un garçon et une fille, ostensiblement en couple car à cet âge on aime beaucoup montrer qu’on a enfin trouvé quelqu’un pour former un couple mais que pour le montrer on sait pas faire autrement que s’embrasser ou se tripoter à outrance, firent leur apparition et s’affalèrent direct sur la banquette à l’opposé de la mienne en jetant bruyamment leurs plateaux sur leurs tables. Je notais qu’ils étaient tous deux parfaitement assortis, d’une laideur inconcevable, gras et maigres à la fois, boutonneux, le look tirant vers le n’importe quoi qui se cherche pour faire original, entre le rasta le punk et le gothique – si, c’est possible – avec les cheveux qui schlinguent même de visu et les piercings infectés en prime. En résumé le premier coup de vieux agréable que j’aie jamais ressenti. Agréable et pourtant inutile. Je finis mes frites et mon soda aussi lentement que faire se pouvait, puis m’enfuis comme une grande fille courageuse. Le ventre maintenant trop – mal gavé - plein l’odeur du lieu prenait des relents insupportables pour moi qui n’y était plus habituée. Je sortis juste à temps pour ne pas vomir. Naomi me regarda passer avec un air ahuri tellement parfait qu’on aurait dit qu’elle venait de l’Actor’s Studio. Une fois dehors je pus reprendre mon souffle et me reconcentrer sur ma mission en cours d’avortement qui était je le rappelle de remplir mon réfrigérateur vide comme un cerveau de téléspectateur de TF1. Je jetai un œil à ma montre 18 heures 02. J’avais toujours eu horreur de cette heure. Etais-je la seule ? Probablement pas. Aujourd’hui c’est tout à fait le genre de sujet anodin voire sans interêt que j’aimerais beaucoup pouvoir de temps en temps aborder avec des gens comme cette chère Justine, anodine et tellement sans interêt.

   18 heures c’est l’heure de rien. Quand t’es petit c’est plus l’heure de goûter, c’est plus l’heure de l’école, mais c’est plus tout à fait l’heure de jouer non plus, c’est ni l’heure du repas, ni celle de se rendre constructif, mais c’est celle de faire ses devoirs. Plus tard c’est plus celle du thé mais c’est pas encore celle de l’apéritif. C’est celle des conneries à la télé devant lesquelles on se plante avec fatalisme, parce qu’on est trop crevé par sa journée pour se forcer à suivre les rares émissions intéressantes et/ou instructives. Pour en revenir au thé, chez les Anglais c’est l’heure des infos, vous imaginez ? Ah, vous saviez déjà… Vous vous souvenez, bien, bien, bien…

   Moi, les Anglais, à part leur musique et leurs puddings, on peut pas dire que je les portais dans mon cœur. Mais avec du recul, étant donné que la Musique faisait et fait toujours partie des choses les plus essentielles pour moi, je crois qu’il s’agissait plus de jalousie respectueuse que de racisme. Et puis je me dis que je devais être trop conne pour saisir les subtilités de leur humour. Tant pis. J’aurais dû y porter plus d’attention. You can scream and you can shout it’s too late now.

   There is no way out.
18 heures 05 mais je décidai de prendre un apéritif malgré tout. Aucune raison de se laisser abattre, après tout. Je me lançai donc dans la recherche d’un bar ou d’un café sympa comme notre ville sait paraît-il si bien les faire. Déterminée je décidai néanmoins rapidement de ne pas jouer les difficiles et me dirigeai vers le premier qui me fit bonne impression, alors que je zieutais à droite à gauche depuis la rue principale en me disant que si bar ou café sympa il y avait, il serait plus susceptible de se trouver dans une des perpendiculaires. Avais-je raison n’avais-pas raison ce n’est pas à moi d’en juger. Quoi qu’il en soit j’en vis un que je ne connaissais pas – mais vous aurez compris que j’ai rien d’une autorité en la matière – et qui me plut d’emblée, sans que je comprenne trop pourquoi parce qu’à première vue disons que l’extérieur ne payait pas de mine. Mais déjà, s’appeler « Au Chien Qui Bande », fallait oser. Je crois que c’est ce nom et ce nom seul qui m’a convaincue d’aller voir à quoi/qui j’avais à faire. J’imaginais les présentations au téléphone : « Café Au Chien Qui Bande, bonjour ! Oui, mademoiselle, nos happy hours sont de 17 à 20 heures. Vous avez vu la pub dans Labrador Magazine ? Eh bien tant mieux, au moins ça veut dire que ça sert à quelque chose » Ah, ça, ça devait toujours mémorable les happy hours du Chien Qui Bande ! Encore heureux qu’on appelle rarement des cafés. En même temps on choisit pas un tel nom sans penser aux conséquences, non ? Alors que je m’approchai je souriais sottement en continuant d’imaginer des bouts de dialogue : « Allez, on va s’en jeter un au chien qui bande ! » ou « Eh, ça vous dit d’aller fêter ça au chien qui bande ? » ou encore « Chéri, mes copines me proposent d’enterrer ma vie de jeune fille au chien qui bande, c’est chouette, non ? ». À dire vrai j’aurais donné cher pour voir la tête du futur époux… Quoi qu’on puisse lui reprocher, ce nom claquait bien – sans mauvais jeu de mot – et ne devait pas avoir le moindre problème pour être retenu voire répété, par plaisir. Il n’y avait jamais eu assez de choses pour sourire en ce bas monde. J’entrai donc sans hésiter

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