J'ai la très grande tristesse de vous annoncer la mort de mon bras gauche, suite à de terribles douleurs nerveuses de je sais pas quel nerf mais si je le chope je lui dirai que c'est un sacré enulké. Y'a eu un gros pet, puis perte de sensibilité totale, puis gangrène.
Que les spécialistes ne me demandent pas ce qu'elle fout là la gangrène, et surtout aussi vite, car j'en sais foutre rien.
En tout cas l'amputation est d'ores et déjà programmée, et je suis en train de lui chercher une urne (selon mes convictions areligieuses, il ne pourra être qu'incinéré) et un endroit où disperser ses cendres.
Il allait un peu mieux ces derniers jours, pourtant, alors je ne m'inquiétais plus.
Malheureusement, hier en pleine journée alors que je me morfondais gaiement sur ma vie plus belle que tout, c'est les doigts qui ont commencé à gueuler
" Hey hey, mon gros, t'as pas vu que le triceps est en train de clamser depuis des semaines? Mais t'es vraiment trop con ma parole! "
" Vos gueules! Il se calmait petit à petit avec les anti-inflammatoires et la crème! Comment je pouvais savoir? "
" Non mais t'es vraiment une buse! Tu somatises, c'est aussi simple que ça! Et t'es trop con pour l'admettre! "
" Vous m'insultez encore et je vous coupe, compris? "
" Bof, on s'en fout, on t'aime pas, tu fais plus de piano, et pour te branler, tu préfères nos collègues de l'UMP... "
" Malin, ça... "
" En tout cas, tu peux pas l'entendre, mais le pauvre petit triceps, ou du moins, le nerf qui le touche, il jouit, là, je te promets! "
" Et vous voulez que je fasse quoi ? "
" Bah on se disait, qu'aller chez le médecin, c'est des trucs qui se font ? "
" J'ai horreur des médecins! Et j'en ai assez autour de moi! "
" Alors tant pis, tu perdras ton bras tout entier, et nous avec, par la même occasion... "
" Je sais pas si j'y perds beaucoup au change..."
Et c'est ainsi que j'ai étouffé littéralement le problème à la racine. J'ai tué mon bras en l'asphyxiant, et maintenant il pend le long de moi, sans vraiment m'en vouloir non plus.
Je l'aimais bien pourtant. Même si je suis droitier pur et dur. Ah non, gaucher des pieds, c'est une anomalie dont je suis fier, mais mes pieds vont bien, donc le sujet n'est pas là.
J'aimais bien mon bras gauche. Il est plus vieux que moi parce qu'on m'a greffé à lui quand il avait quelques mois. On s'était attaché l'un à l'autre. Quand j'étais petit, je le reconnais de son jumeau de droite grâce au piano. C'est ma première prof qui m'avait expliqué que si je paniquais à l'idée de pas me rappeler où était la gauche par rapport à la droite, je n'avais qu'à m'imaginer devant le clavier et je saurais instantanément. Ce réflexe avait perduré jusqu'à aujourd'hui.
Et j'ai presque envie de pleurer.
J'ai par la même occasion envie de dédicacer cet article à la personne qui est arrivée sur ce blog en tapant "je n'arrive pas à me faire jouir de la main gauche" sur google. Je ne suis pas sûr de pouvoir l'aider mais j'imagine qu'il saura compatir à ma douleur de perdre un compagnon cher.
Je l'aimais bien, parce que le bras gauche c'est celui qui aide sans demander son reste. On l'oublie souvent, le pauvre et il suffit qu'il soit cassé pour qu'on se rende compte que la vie sans lui est terriblement difficile. Un peu comme un batteur dans un groupe de rock. On ne le remarquera que s'il est mauvais. Ou presque.
Je l'aimais bien parce qu'il avait un peu moins de gros grains de beauté que le bras droit. De la même façon que ma main gauche était plus jolie, plus propre, parce qu'avec beaucoup moins de grains de beauté aussi, et des os et des muscles un peu moins saillants. Plus ronde.
Donc, paix à l'âme de mon bras gauche, et à l'omoplate, l'épaule, le coude, l'avant-bras la main et les doigts qui vont avec. Je me demande comment ils vont bien pouvoir couper tout ça, d'ailleurs.
Je me demande s'ils vont pas en faire de la farine animale plutôt que de le brûler d'ailleurs.
Mais j'y veillerai.
Et je vous raconterai.
Pour l'instant, je vous laisse, parce qu'écrire de la main droite sur un clavier, c'est chaud et lent et peu gratifiant je vous garantis.
Une messe sera célébrée en son honneur à l'église St-Ambroise, dans le 11ème arrondissement, jeudi prochain à 10 heures.
Oui, j'aime bien les paradoxes.
Lui aussi il aimait bien les paradoxes. C'était un bras-radoxe.
(OK OK je vais me coucher)