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20 décembre 2009 7 20 /12 /décembre /2009 02:59

(dialogue-fiction)

- Commissaire?
- Oui, X?
- La fouille ne donne rien de mieux. C'est la deuxième fois que nous venons, pourtant.
- Et alors?
- J'aimerais savoir ce qu'on cherche.
- Je vous l'ai dit cent fois, des éléments probants par rapport à cette affaire de vol de voitures.
- Cette affaire uniquement?
- Oui, cette affaire uniquement, maintenant, arrêtez d'insister, ou vous allez vraiment m'énerver.
(il cherche à s'éloigner)
- Et les filles, commissaire?
- Quoi, les filles? (il ne retourne pas)
- Qu'est ce qu'on fait pour les filles?
- Quelles filles? (il se retourne, contenant mal sa colère)
- Vous savez très bien commissaire, on a ni chiens ni quoi que ce soit pour les chercher, mais les agents ont vu, comme vous comme moi, le mur blanc dans la cave. Ils ont aussi entendu des cris d'enfants.
- On l'interrogera encore, l'autre, pour le mur. Et les cris d'enfants, ils venaient de l'extérieur.
- En décembre, les enfants ne s'attardent pas à l'extérieur, et moi, je les ai entendues aussi, les petites, à l'intérieur. Vous savez très bien qu'elles sont là, on a des témoignages précis. Il faut prolonger les recherches et les aider.
- (furibond) Fermez-la! Cette histoire vous dépasse complètement, ne me faites pas répéter mille fois les mêmes choses! Nous sommes venus pour des vols de voiture, nous repartirons, même bredouilles, pour des vols de voiture!
- (stoïque) Est-ce que c'est vraiment comme ça que vous voyez votre métier?
- (de plus en plus furieux) Ne me donnez pas de leçon! Vous n'étiez pas né que j'entrais déjà à l'école de police! Vous n'avez pas idée de ce qui se joue au-dessus de vous! Vous n'avez pas idée du nombre de têtes qui vont tomber avec celle de Dutroux si on ne suit pas la procédure!
- (haussant le voix à son tour) La procédure? La procédure, vous dites? Vous savez pertinemment qu'il y a tout près de nous 2 petites filles de 8 ans séquestrées, affamées et probablement violées depuis on ne sait combien de temps dans un réduit de la taille de vos toilettes et vous me parlez de procédure?
- (ayant encore plus de mal à ravaler sa rage soudaine pour que personne d'autre n'entende) Et vous, X, vous voulez jouer les héros? C'est ça? Allez-y, défoncez-le ce mur, prenez vos responsabilités de héros, mais sachez que vous n'en tirerez rien, rien du tout! Si on dévie ne serait-ce que d'un seul pas, l'autre ordure risquerait de nous filer entre les doigts. Les fillettes sont nourries, vous le savez comme moi. On les laisse là, on planque et on met le grappin sur tout le groupe. Voilà, ce qu'on va faire. Et vous n'êtes pas en position de protester.
- Et vous, vous essayez de me faire avaler ça, commissaire.
- (il se calme) Demandez-vous si vous avez le choix.
- Non (il soupire), malheureusement non.
- La discussion est close, donc. Maintenant allez rappeler les équipes et faites-moi votre rapport
réel cette fois.
- Une dernière question, tout de même...
- Je vous l'accorde.
- Vous qui semblez avoir l'habitude de ce genre de cas, pourriez-vous m'expliquer comment vous arrivez encore à vous regarder dans un miroir?
- Je n'ai pas besoin de vous donner de réponse, vous allez être très vite confronté au problème, faites-moi confiance. (il sourit faiblement)




pour Julie et Mélissa et les autres, toutes les autres victimes un peu partout dans le monde, voici ma très modeste contribution, fictionnelle je le répète, à ce qui me fera penser jusqu'au bout que nous sommes des monstres.

malgré tout, par souci de vérité factuelle, veuillez lire ceci, tiré d'un site résumant très bien l'affaire Dutroux.

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10 décembre 2009 4 10 /12 /décembre /2009 02:27

Mardi soir, alors que je me mettais en route pour Opéra voir "paranormal activity", je reçus au moment de sortir de chez moi un coup de fil qui m'étonna beaucoup. Il s'agissait de Hildegarde (son prénom est modifié pour respecter son intimité), une ancienne copine de fac que je n'avais pas vu depuis des années. Je me souvenais bien d'elle, mais ma surprise restait entière
 "Comment t'as eu mon numéro, au fait?"
 "Ben, en fait, c'est Brünehilde  que j'ai eu au téléphone tout à l'heure."
Ah, Brünehilde
(pour préserver sa vie privée, son nom... bon, vous aurez compris), une autre copine de fac, qui comme son nom ne l'indique pas du tout, est blonde et plutôt canon, genre "graphiquement optimisée" comme on dit chez nos amis les geeks, et avec qui je n'ai jamais pu conclure, même en faisant l'effort de reprendre contact avec elle des années après la fin de nos études. Hildegarde, elle, regardons les choses en face, ne m'a jamais attiré.
 "Et tu m'appelais pour une raison particulière?
 "Aucune, en fait, je voulais juste prendre de tes nouvelles..."
 "Ah? Dans ce cas, ça te dit que je te rappelle demain? Là, j'étais sur le point d'aller au ciné et..."
 "Tu y vas seul? Tu vas voir quoi? Où ça?"
 "Euh... Oui, j'y vais seul, à Opéra, pour voir "paranormal activity"
 "Oh, mais c'est pas loin du tout de là où je travaille, et puis j'avais envie d'aller le voir aussi. Tu m'autorises à t'accompagner?"
 "Euh, bah... oui" je suis faible, parfois
 "Tu as mangé?"
 "Euh, bah... non"
 "Super, moi non plus. Je suis en train de regarder les horaires, là, c'est la séance de 21h40 au Gaumont Capucines c'est ça? Ca nous laissera le temps d'aller trouver quelque chose d'ouvert après, y'en a dans ce coin-là..."
 "Euh... si tu veux"
 "On se retrouve devant à 21h30! Bon, je te laisse, j'ai encore plein de trucs à finir je suis à la bourre dans ce que j'avais à faire et il est vraiment super tard, bisou! " click
 
Damned.

Moi qui me plains tout le temps d'aller au cinéma tout seul, là une fille s'incruste et ça m'emmerde. Vive moi. Pour ma défense cette fille c'est Hildegarde.

Je me demandai si elle avait un peu changé depuis la fac.

En fait, oui et non. Elle est petite et toute fine et plutôt jolie, mais j'y peux rien, elle ne me plait pas. Elle est très élégante, malgré le mauvais temps, et elle sent bon, malgré la pollution et le mauvais temps, et elle est radieuse, malgré le mauvais temps. Mais elle ne me plait pas. Damned bis.
En plus, elle est vraiment heureuse de me retrouver après tout ce temps. Damned ter.

Lorsque j'arrive devant le cinéma elle est déjà là et m'accueille avec un grand "TITIIIILE!" (oui, pour préserver mon intimité, et même si je dois sacrifier le peu d'amour-propre qu'il me reste, mon pseudonyme sera réduit à sa plus simple expression gagatisante et puérile). C'est un vrai moulin à paroles qui se déchaîne sur moi avant le début de la séance. Je réponds et participe poliment à la conversation. J'aurais presque envie de parler de Brünehilde, mais je me rends compte que ce serait très inconvenant. Le film commence et elle se tait d'un seul coup. Comme la tension monte progressivement, c'est progressivement qu'elle se rapproche de moi, pour finir par s'aggriper à mon bras de toutes ses forces et me foutre la honte de ma vie, pire que quand j'étais allé voir "le sixième sens" avec ma soeur. Cette fille est pire que ma soeur devant les films, c'est un exploit.

A la fin, quand les lumières se rallument, elle s'excuse, traumatisée, et m'indique qu'elle aimerait bien aller manger vite fait et oublier ce qu'elle vient de voir. Elle ne fait pas semblant, c'est certain. J'avais oublié qu'elle était aussi émotive. Comme elle a un peu de mal à marcher, nous nous rendons au "rhinocéramus" juste en face du cinéma. Le rhinocéramus est une chaîne de restaurants dont la qualité du service change du tout au tout selon les endroits, alors que la qualité gustative continue de se dégrader avec les années, à l'inverse des prix. C'est bien dommage.

Malgré cela, il serait d'extrême mauvaise foi de dire que nous n'avons pas passé un bon moment. Bavarde, Hildegarde (ouh, l'allitération, classe) n'en est pas pour le moins très drôle, attendrissante et curieuse de tout. Le repas se passe bien, donc, et nous traînons. Elle me remonte le moral. Je l'impressionne à me laisser inviter, me disant qu'elle gagne beaucoup mieux sa vie, que moi, chômeur, et que la prochaine fois ce sera à mon tour.
 "Tu fais des progrès, il y a quelques années, tu aurais préféré crever plutôt que de laisser une fille quelle qu'elle soit te payer le resto" fait-elle en souriant. Même pas vrai, en fait. C'est juste que je sais qu'elle est têtue et plus riche que moi et que je n'ai pas envie de débattre de mon soi-disant machisme ou non avec elle. Je lui ai offert le ciné à tiers-prix, quand même!
 "Oh, t'as vu l'heure? je pourrai jamais rentrer chez moi à Sèvres! Et puis tu habites dans le 11ème, c'est ça? Ca sera beaucoup plus pratique pour moi, pour repartir demain! En retour du repas, il faut que tu me laisses dormir chez toi!"
 "Euh... non, désolé, c'est sale et j'ai pas la place du tout" pas sympa
 "Roooh, allez quoi, t'as pas de coeur? Tu vas me laisser toute seule dans le froid et la nuit?"
 "Ben, je te suis très reconnaissant pour le repas, et je te le rendrai, mais tu dois aussi avoir des sous pour un taxi, non?"
 "Oui, mais ça coûtera moins cher jusqu'à chez toi. Et je sais rester économe. Et j'ai l'esprit pratique, regarde si tu veux dans mon sac: j'ai toujours une brosse à dents, une culotte de rechange et des préservatifs" rit-elle
 "Waou" impertubable. Tellement imperturbable que, plutôt que de la vexer, ça l'a plutôt motivée, en y réfléchissant bien.

N'allez pas croire que je me la joue. Bien au contraire. Je me méfie tellement des filles qui "rabaissent leurs exigences" que j'ai fini par ne faire confiance à aucune d'entre elles. Et puis je me suis autoproclamé recordman de l'univers du nombre de filles avec qui j'ai couché (sens premier du terme) sans introduire mon biiip dans leur muuut. Donc, méfiance.
Je ne voyais pas ce que me trouvais Hildegarde, et j'appréciais encore moins l'idée qu'elle se "rabatte" sur moi. Fierté mal placée, certainement.
Néanmoins, le trajet en taxi fut étonnament décontracté. Nous avons repensé à nos connaissances communes, nous imaginant en riant ce qu'elles étaient devenues.

Arrivés chez moi, je vous passe les détails, nous fîmes finalement ce que nous avions à faire: une très jolie partie de scrabble. Je dis très jolie parce qu'avec le nombre de x,y ou z sur des lettres et mots compte triple qu'elle a mis, eh bien je me dis que nous n'avons pas perdu notre temps. Je sais que selon des magazines scientifiques extrêmement sérieux comme Moxx 70% des femmes font semblant de s'amuser en jouant au scrabble mais peu importe. Moi j'ai réussi à placer mon mot compte double et je me suis félicité.

Bref, pendant qu'elle prenait sa douche, et que je tapais mon article du jour sur Eric Besson (n'y voyez aucun rapport s'il vous plait), à la va-vite pour qu'elle ne me pose pas de questions, je gardai un oeil sur mon radio-réveil Sony préhistorique (il date du collège, j'y tiens plus que la prunelle de mes yeux) et me dis qu'il était bien tard.
Elle sortit toute nue en râlant que ma salle de bains était un égout. Je pensai juste qu'elle avait les plus beaux seins que j'avais jamais vus. Pourquoi l'avais-je pas remarqué, ou deviné bien avant ça je n'en sais rien.

Bref, je sortis deux bières et lui en tendit une qu'elle but goulument. Je fus un tantinet rassuré quand je compris qu'elle n'était pas partante pour un monopoly. Oui, 80% des femmes s'ennuient en jouant au monopoly. Mieux vaut éviter donc. Après une discussion quelconque sur nos avenirs divergents, nous conclûmes qu'il fallait mieux se mettre au lit, pour qu'elle arrive à se lever sans trop de mal le lendemain.

En japonais, il y a un mot nominal simple, qui résume l'ensemble de ce qui aurait dû, doit devrait ou devra être. "Hazu". On AURAIT dû dormir vite pour qu'elle se réveille tôt, hazu.
Et c'est exactement à ce mot que je pensais quand au moment d'éteindre la lumière, lorsque nous nous sommes collés en chien de fusil et qu'elle me fit:
 "tu sais, dans le film, ils dorment comme ça au début..."
 "moui, peut-être, dors"
 "t'as pas eu peur, toi?"
 "un peu, si, mais dors"
 "bon...
  ...
 "Titile?"
 "moui"
 "je repense au film, tu crois, toi, aux démons et aux esprits?"
 "non, pas vraiment. Dors"
 "moi, si, un peu..."
 "allez, dors, s'il te plaît"


totoc
  'Hiik! Titile, c'était quoi ça?" elle a sursauté et m'a fait sursauter, de fait
 "ça, c'est mon chauffe-eau, il fait ce bruit très souvent"
 "très souvent comment?"
 "je peux pas te dire. DORS"


137 secondes plus  tard:
taKLON
 "Hii, mais c'est horrible!"
 "tu vas t'y habituer, arrête un peu"

20 secondes plus tard:
TONGKLANC
 "HIIIK Titile fais quelque chose j'ai peur!"
 "Ecoute je vais pas éteindre le chauffe-eau, je veux pouvoir prendre ma douche normalement, moi, demain. Allez, calme-toi, ça va s'arrêter, il est en train de chauffer l'eau froide parce que tu l'as vidé"
 "d'accord"
 plusieurs tankloc ou autres patank suivent, avec à chaque fois un petit cri contenu très énervant
 "Titile, j'ai peur... fais quelque chose je t'en prie..."
 "Pfff, t'es chiante, vraiment" je me lève et vais baisser le thermostat à zéro dans la toute petite cuisine de mon 17m2. Je me recouche et elle m'embrasse faiblement en me remerciant.


Exactement 586 secondes plus tard:
TANKOKBOM!
 "HAAAA! TITILE! LE DEMON! LE DEMON!" crie-t-elle. C'est fou ce que les peureux peuvent finir par vous faire peur à la fin...
 "Non mais t'as fini tes âneries, oui, c'est un vieil immeuble, avec plein de bruits dedans, et là je suppose que le chauffe-eau fera du bruit jusqu'à ce qu'il soit froid..."
 "mais j'ai PEUR, Titile..." elle tremble de tous ses membres
 "y'a pas de raisons..." fais-je en essayant de la rassurer du mieux que je peux.

Elle se met sur le dos et me fait
 "et là, le kimono, il me fait peur, aussi! il est très menaçant!
Ici il faut que j'explique qu'au pied de mon lit, dans ma petite chambre, est plaqué, en croix contre le mur, un très beau kimono rouge que mon père m'a fait (genre, de ses mains à lui) pour mes 25 ans.
 "Je te vois venir. Il est HORS de question que je touche à ce kimono!"
 "bouhou"
 "Si j'y touche je risque de faire du bruit et la vieille du dessous va m'engueuler"
 "snirf"

15 minutes de négociations, entrecoupées de konTINGpan variés.
Je retire le kimono à grand peine. La vieille ne me le pardonnera jamais.

Je me recouche avec elle en espérant qu'elle finisse par s'endormir.
3 minutes.
 "Titile..."
 "OUI"
 "ton placard, il est... entrouvert... j'ai peur..."
 "oui, il est entrouvert parce qu'il est trop petit pour les draps propres qui sont tout au dessus..."
 "..."
 "Non, je n'irai pas chercher la chaise pour retirer les draps propres..."
 12 secondes
 "Titiiiile..."
 "je pense que tu me fais un peu chier, là, mais bon, c'est pas moi qui bosse demain, non plus..." dis-je en essayant de garder mon calme.
Les draps enfin planqués ailleurs (j'ai mis 5 minutes à trouver une autre place), sans parler du bruit de la chaise pour la vieille du dessous, je me recouchai enfin avec Hildegarde qui ne put plus rien dire. Le démon-chauffe-eau semblait s'être tu, en plus.


14 minutes et 26 secondes s'écoulent et soudain, dans la chambre et le studio et l'immeuble voire dans Paris tout entier résonne d'une force qui pourrait être qualifiée de démentielle un son informatique (vous savez, typé mac) provenant de mon ordinateur éteint et que je connais bien. Mais Hildegarde, elle, non.
 "AAAAAH! C'EST QUOI, CA! TON ORDINATEUR? MAIS IL EST ETEINT!" hurle-t-elle
 "Non, il est pas éteint, il est en veille, et ça, je suis désolé, j'aurais dû y penser, ça doit être un téléchargement très long qui vient de se terminer! Alors dors!" J'étais avant tout rassuré d'emblée à l'idée que tous mes téléchargements étaient sûrs, étant donné que mon addiction au parties professionnelles (ou amateur) de belotte ne se fait qu'en streaming. Quelle merveilleuse invention que le streaming et le haut-débit.
 "Snif, prouve-le alors" chouine-t-elle
 En râlant toujours plus je prends la souris et lui montre les épisodes de Suzumiya Haruhi que j'ai ENFIN pu récupérer mais qui sont sous-titrés en... thai? J'ai fait fort, là... tu m'étonnes que ça ait pris une plombe et que je les ai oubliés, ces machins...

Pour résumer, Hildegarde fut suffisament bouleversée pour me faire... suer jusqu'au petit matin, ou elle continua à trembler et à sursauter parce que, MON DIEU, y'a des humains dans le bâtiment où j'habite, et qu'ils prennent leur douche (chose sur laquelle je vais devoir faire une croix, au moins pour quelques heures) ou vont aux toilettes et qu'une chasse d'eau ça peut s'entendre.

Vers 8 heures, au moment précis où j'arrivais à trouver le sommeil, elle me réveilla, plutôt souriante, pour me dire qu'il fallait qu'elle aille au travail. Elle retira le TShirt trop grand que je lui avais passé, et toute nue dessous, je me dis que cette nuit horrible aura au moins eu le mérite de me faire contempler une poitrine parfaite. Elle enfila sa fidèle culotte de rechange, rose en coton toute simple comme je les aime, remis sa robe et sans m'embrasser me fit au revoir de la main avant de vite mettre les bouts. Je ne sais plus à quoi j'ai pensé au moment de fermer la porte de mon appartement: "est-ce que je la reverrai", ou "est-ce qu'elle travaille dans le genre d'endroit où ça jase quand une femme ne s'est pas changée par rapport à la veille?"
Le démon du chauffe-eau me répondit aussi sec par un

TAKLAN



Voilà, certaines et certains auront peut-être remarqué que cet article n'est pas écrit en italique. Ainsi, vous pourrez considérer que, comme le paranormal toute cette (longue et stérile?) histoire est fausse. Sauf le film que je suis allé voir à Opéra mardi soir. Sauf la voisine du dessous qui est un peu relou. Sauf mon placard qui est trop petit pour les draps. Sauf la salle de bains (et tout le reste) super crade. Sauf le magnifique kimono de mon poute. Sauf ma soeur chérie qui m'a foutu la honte au cinéma il y a 10 ans maintenant. Sauf mon ordi magique. Sauf mon radio-réveil de la mort qui tue. Sauf les bières qu'il faut toujours avoir dans son frigo. Et surtout, sauf ce fichu chauffe-eau qui fait taklan taklan quand l'envie lui prend.
Et Hildegarde ou Brünehilde, me direz-vous (évidemment, tsss...)? Eh bien, comme je n'aime pas mentir, mais que je sais préserver ma vie privée (oui, titile) je vais laisser à ceux qui me connaissent le soin de ne pas imaginer, parce que ce serait inconvenant. Aux autres, le loisir de s'amuser avec cette euh... autofiction? (beurkbeurkbeurk) que j'ai eu plaisir à écrire, tellement rapidement que je m'en impressionne. Non, ce n'est pas du tout signe de qualité, au contraire, et oui, ça peut paraître bâclé, mais à côté des phrases de "nous sommes des monstres" ou "ishijima" sur lesquelles je reste bloqué pendant des années, je vous jure que ça me fait du bien. Au moins à moi, ça fait du bien.
Désolé si ça vous est désagréable. Je le comprendrais, en fait... Et ne referai l'expérience qu'exceptionnellement, rassurez-vous.

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7 décembre 2009 1 07 /12 /décembre /2009 18:45

Bon, voilà la nouvelle en question, vraiment finie à l'arrache. Je croyais avoir plus de temps mais je tiens absolument à respecter les délais que je m'impose. Au pire j'y ferai quelque corrections. Ah, et surtout, j'espère que vous avez noté la nouvelle adresse du site: pourlamaingauche(point)net
Bonne lecture, et encore une fois, soyez indulgents, je n'ai jamais rien écrit aussi vite! C'est un vrai record, une nouvelle quasiment aussi improvisée que mes articles de remplissage...


edit 8/12/09: orthographe et syntaxe




                                                      LA ROBE JAUNE

   Prenez un homme. Physiquement quelconque intellectuellement quelconque. Mettez-le dans une situation pas  complètement extraordinaire pas complètement banale. Vous pouvez rajouter une journée ordinaire passée par lui de travail ordinaire effectué par lui dans une ville ordinaire habitée par lui pour une vie ordinaire menée par lui. Invité par un collègue de bureau non moins lambda  à prendre un verre plat dans un endroit correct, il le suit avec un enthousiasme maîtrisé et modéré.
   Pourtant qui en douterait chaque jour sait faire en sorte de ne pas être une copie conforme de la veille ou du lendemain.
   Ainsi, alors que son collègue et lui sirotent leur bière tiède à une table entre un groupe de quatre joyeuses personnes, dont une femme qui attire tout d’abord sans raison apparente l’oeil de notre homme. Imaginons que ce soit à cause de sa tenue, un manteau noir corbeau qui lui descend jusqu’au bas des cuisses et ayant pour gros défaut de cacher ce qu’il faudrait a priori pas qu’elle ait honte à montrer. Un manteau banal comme plein de manteaux banals.
   Le petit groupe s’installe au bar, et alors que son collègue lui raconte des choses peu exaltantes sans être complètement inintéressantes, notre homme continue de chercher pourquoi cette jeune femme attire son regard. Il ne se sent même pas sûr de penser qu'il est dommage pour elle de s’habiller de la sorte. Il sait en revanche qu’il ne s’agit aucunement d’attirance sexuelle. L’homme a sa libido en berne depuis sa dernière rupture houleuse quelques mois auparavant. Il repense un instant à Gaëlle, qu’il n’a peut-être jamais aimée, puis à ses soeurs, comme souvent. Le collègue parle de la préparation de la réunion des haut-cadres de la boîte, la semaine d’après. Il a remarqué que notre homme a du mal à quitter des yeux la jeune femme au comptoir, mais préfère ne pas en rajouter, et considère qu’un célibataire triste n’a de leçon ou de taquineries à recevoir de personne.
   Sans événement particulier une journée saura être vécue, mais jamais, grand jamais, rappelée. Et quand au bout de cinq minutes à peine la petite voix de la fille se fait entendre plus clairement dans la salle, avec un joli rire, en fait je crève de chaud ici, vous savez, notre homme lui ne pense pas que ce qu’il avait pressenti à son entrée s’est avéré exact. Cette jeune femme a quelque chose, une seule chose de particulier que couvrait son manteau. Sa robe. Courte et très jaune. Elle fascine instantanément notre homme, qui de là où il se trouve, peut l’observer sous toutes les coutures.
   Il s’agit d’une robe jaune mi-cuisses en tissu léger, sur laquelle sont brodés de gros carreaux peu visibles car jaunes aussi, un peu plus foncé. Les manches très courtes et elles-mêmes à peine ourelées donnent un cachet assurément «jeune» à l’ensemble. Autour de la taille, une fausse ceinture consistant en deux fils brodés entre lesquels du tissu plissait un peu plus fortement avantageait d’une jolie façon les courbes assez prononcées de sa propriétaire. Notre homme attend un moment que la jeune femme daigne se tourner vers lui pour l’admirer un peu mieux. Ce qu’elle fait d’un geste finalement très naturel. Au niveau de la cuisse gauche se trouve une petite broderie rouge, toute simple, qui ne doit pas représenter grand chose, ou du moins, pas à la distance d’où l’homme la voit. La robe semble se fermer par le devant, car tout une rangée de petits boutons pression, à moitié cachés sous des coutures identiques à la ceinture, en plus fines, la traverse de haut en bas. La fille s’est suffisamment boutonnée pour qu’il faille se contenter d’imaginer son décolleté. De part et d’autre deux poches discrètes n’ont pas l’air faux car la fille en sort des petits papiers à plusieurs reprises.
   Alors que le collègue lui explique pourquoi ce serait mieux s’il se syndiquait, l’homme regarde la jeune femme papillonner au milieu des 3 garçons qui l’accompagne. Pourquoi la regarde-t-elle? Parce que l’envie d’elle? La concupiscence? Certainement pas. Parce que la robe? Parce que le Jaune à la Van Gogh? Probablement. A beaucoup d’égards elle était clairement attirante, que personne ne croie le contraire. A une autre époque de sa vie, l’homme suppose qu’il serait parti pour lui proposer, avec ses mots à lui, sans vulgarité ni jamais de métaphores, d’introduire son pénis dans son vagin et d’y effectuer des va-et-vient plus ou moins réguliers. Mais l’homme a bien vieilli, et le manque de vulgarité se perd, de nos jours. Sans oublier que ceux qui entourent la jeune femme ne sont, sous leurs airs malgré tout gentils et désintéressés chacun dans leur genre, a priori pas contre l’idée d’introduire aussi - et en priorité - leur pénis respectifs dans son vagin. D’où incompatibilité.  Elle, de son côté, l’homme connaît bien ces techniques, semble tentée par le plus plus bellâtre des trois. Pour changer. Et ce malgré le fait qu’elle s’est accoudée au bar en laissant les deux autres entre lui et elle, et qu’elle le regarde à peine et ne lui adresse la parole que pour se moquer de lui. J’ai l’impression de regarder Adeline, en fait, se dit l’homme.
Mais Adeline n’a ni les cheveux, ni les jolis petits seins ronds de la jeune fille. Pas plus que ses soeurs.
L’homme a toujours préféré les petits seins qui tiennent bien aux gros machins qui tombent et ballotent tout le temps. Sans réellement savoir pourquoi. Un truc de famille, sûrement. Des deux côtés de la famille de l’homme, les femmes ont toujours eu de grosses et/ou belles poitrines, et ses soeurs ne font pas exception à la règle.
La jeune femme fait à vue de nez du 85B ou C maximum.
L’homme a toujours eu un don pour mesurer à vue, quoi que ce soit. A un moment dans sa vie, il pensait même travailler dans le prêt-à-porter où le bâtiment. De la tête au pied, les tailles humaines n’ont quasiment pas de secret pour lui. Pour les rangements, les meubles et la place qui leur convient, idem. Il sait aussi déterminer à quelle distance se trouve un objet par rapport à lui, ou à un autre objet, parfois dans des espaces très grands, avec une précision qui impressionne tout ceux qui s’amusent à le tester.
   La jeune fille fait un bon petit 85B. Elle mesure 1 mètre 60 sans ses bottes et doit chausser du 39. Son tour de taille serait de 62 ou 63 centimètres et ses hanches 88 ou 89. Le tour de tête n’est pas vraiment calculable car ses cheveux sont plutôt bouclés et qu’elle les a attaché rapidement en chignon. Comme Chloé.
   L’homme a toujours été confronté aux «trucs de filles». C’est lui qui s’est toujours occupé de ses 3 petites soeurs, depuis leur naissance. Les parents étaient absents et inconsistants, bien plus obnubilés par leurs problèmes de couples et leur vie sexuelle que par le bien-être de leur enfants qu’ils ont fait sans le vouloir réellement, pour la bienséance. L’homme donc, à peine adolescent, a bercé ses soeurs, les a nourries, lavées, changées, il les a fait jouer jusqu’à son propre épuisement. Quand le père est parti sans se retourner avec une inconnue, et que la mère a commencé à avoir les fils qui se touchent, c’est lui qui s’est retrouvé en charge des filles. Chloé n’avait pas encore ses règles et c’est lui qui a dû lui expliquer de quoi il en retournait exactement, parce que soit disant les copines n’étaient pas claires. Pendant des années, c’est lui qui a fait toutes les courses acheté tampons (serviettes seulement pour Nathalie), sous-vêtements et vêtements (avec elles, souvent), pris les rendez-vous chez le médecin. Il a eu à la fois les rôles de père, de grand frère et de meilleur ami. Ses soeurs, par malheur, ne s’entendant pas forcément bien entre elles, c’est toujours vers lui qu’elles se retournaient pour quoi que ce soit. Surtout pour des problèmes en vérité. N’ayant jamais été officiellement leur tuteur il s’est souvent retrouvé dans des positions inconfortables par rapport à sa mère, ou à l’administration. L’avortement de Chloé, en terminale, s’est très mal passé puisque l’homme a dû menacer la mère de partir lui aussi si elle ne donnait pas son autorisation, comme cela était obligatoire à l’époque.
   C’est l’homme qui a appris à ses soeurs à ses méfier des hommes. Parce qu’ils ne pensent qu’avec leur queue, notamment. Mal lui en a pris. Les regrets l’assaillent parfois, quand il s’aperçoit qu’Adeline, la plus jeune, celle qu’il a vraiment complètement éduquée, a largement fini par perdre en un temps record toute confiance en l’amour et en la gent masculine, pour ne se laisser aller qu’à des histoires tout juste humides et sans lendemains. Et parfois c’est les larmes qui lui viennent quand elle essaye de jouer à la fière parce qu’elle a couché avec deux étalons en même temps et qu’elle ne comprend pas pourquoi les filles qu’elle connaît sont tellement dégoûtées par les éjaculations faciales, et que lui se dit que le temps est loin où il la faisait sauter sur ses genoux et qu’elle riait aux éclats et qu’elle lui demandait si lui aussi il partirait un jour et lui de répondre non jamais, jamais je serai toujours là pour toi ma puce, ne t’inquiète pas. Je veux pas que tu partes, moi. Je partirai pas, je te jure, Adeline. Promis? Promis. Promis Promis? Promis promis. Tu sais que c’est toi que j’aime le plus sur cette Terre. Moi aussi, ma puce, je t’aime plus que tout. Plus que Nathalie ou Chloé. Exactement pareil, j’ai assez d’amour pour vous trois. Et il la berçait et attendait qu’elle s’endorme pour la ramener dans son lit faire sa sieste dans sa petite tunique jaune écru.
   L’important n’est pas de savoir ce qui s’est passé depuis, qui sont ses soeurs, ce qu’elles ont fait de leur vie. Il a vécu tout entier pour elles, et elles le lui ont bien rendu. Elles continuent à bien le lui rendre. Elles l’adorent mais lui ont fait du mal de la même façon. Sa vie sentimentale est un échec, en partie à cause d’elles et de leur jalousie. De la bêtise de celles dont il est tombé amoureux, bien sûr, c’est évident. La seule fois où il a levé la main sur une fille, la dispute était violente. Elle s’appelait Marion. Elle ne supportait pas de passer après les 3 chipies, comme elle les appelaient. Elle crevait de jalousie, et n’osait pas aborder un sujet, qu’elle n’aurait définitivement mieux fait de ne jamais aborder. Alors, dis-le, dis-le moi, c’est ça que je veux t’entendre dire! Dis-le que tu couches avec elles! Tu alternes, ou peut-être même toutes les trois en même temps, des fois. Tu me débectes!
   Quelques semaines après, cette Marion s’est excusée de la plus plate des façons. Elle était juste jalouse et inquiète et intriguée par cette relation fusionnelle entre l’homme et chacune de ses soeurs. Mais il était beaucoup trop tard. De toute façon, elle n’était pas la première. A le cracher aussi clairement, si, mais l’homme en a toujours eu assez des sous-entendus dangereux et des plaisanteries vaseuses. Si personne ne peut comprendre, qu’on me foute au moins la paix, qu’on nous foute au moins la paix. Demandez-leur, à elles, si notre relation est malsaine, elles sont adultes maintenant, et vous expliqueront que les dégueulasses, c’est vous qui pensez forcément à ce genre de conneries!
   Peu importe. La très jolie robe jaune et la personne qui se trouve dedans n’ont pas pour but de ramener l’homme à ses souvenirs. Il ne sait même pas sur quoi ces souvenirs se basent. Une tenue d’Adeline quand elle avait 5 ans? L’association d’idées a des limites. Et pourtant...
   Adeline est différente de ses soeurs, probablement de la même façon que le jaune détonne avec tout le reste. C’est assurément la plus jolie des trois. Mais c’est loin d’être la plus fine, psychologiquement parlant. L’homme ne supporterait pas qu’on la résume ainsi, mais il faut bien admettre que c’est une blonde, dans tous les sens du terme. Mais comme elle en joue pour tromper son monde, il s’inquiète surtout qu’elle ne réussisse jamais à trouver chaussure à son pied, avec le pied malléable qu’elle a, et son appétit sexuel remarquable et remarqué.
   Mais peu importe.
   Pourquoi le jaune?
   Est-ce la robe, alors? Effectivement, pour être de bonne fois, elle est tout à fait seyante et notre homme aimerait par exemple juste pouvoir en faire le compliment à la jeune femme. Mais étant donné qu’il est aujourd’hui impossible pour un homme de faire un compliment à une inconnue sans que cela passe pour du rentre-dedans maladroit.
   Mais il a envie de lui dire ce qu’il ressent à ce moment précis, avec son collègue qui se met à lui prendre la tête avec les fiches de paie où il y a des erreurs depuis 2 mois. Le temps  passé à boire ne compte plus et rien d’autre ne compte plus non plus sinon le Jaune. Elle irait probablement mieux à Chloé. Nathalie a vraiment trop de poitrine, ce serait vulgaire. Et puis elle a horreur du jaune. Parfois, très rarement, la jeune femme tourne la tête vers lui et le regarde quelques courtes secondes, les yeux grand ouverts, en train de rire à la plaisanterie qu’elle vient d’entendre, mais attentifs à ce qui s’ouvre. Un drôle de regard que l’homme ne connait pas bien.
   Soudain, le collègue se retire poliment, certainement lassé par la situation. Notre homme lui dit au revoir, un peu embarrassé, puis replonge dans la contemplation de la robe jaune, avec son tissu ni trop doux ni rêche, et ses carreaux discrets, et son petit motif brodé sur la cuisse. Et tous ses boutons pour la fermer. Un instant l’homme se demande de quelle couleur sont les sous-vêtements. Noire, apparemment. Ils transparaissent un tout petit peu . L’homme n’a pas l’intention d’avoir d’érection pour si peu. Il se dit juste, d’un point de vue esthétique, que pour une fois, le noir lui convient.
   Fatigué, il s’apprête à s’extirper de sa contemplation. Dehors, il s’est remis à pleuvoir. L’homme marmonne quelque chose d’incompréhensible même par lui-même et va au comptoir pour régler l’addition. Debout à côté de la fille, il réalise sans surprise qu’elle sent bon. Mais toujours pas d’érection. Il n’en veut pas. Les garçons à côté d’elle montrent que l’alcool montent en eux, et elle rit avec des regards en coin plein d’excuses, ou de compassion allez savoir, pour notre homme. La pluie s’intensifie un peu, puis beaucoup le temps qu’on lui ramène sa monnaie. Il laisse un pourboire correct. Votre robe est ravissante, Mademoiselle, vraiment. Il l’a dit d’une traite, sans réfléchir, comme on retire un pansement. Elle se tourne vers lui et le gratifie du plus beau sourire qui puisse exister. Merci beaucoup je viens de l’acheter et j’avais un peu peur de la porter. Bonheur réel du quotidien jamais banal. Après l’avoir saluée il sort rapidement sans se retourner.

   Il n’a pas fait 100 mètres qu’une voix déjà familière se fait entendre derrière lui. La robe jaune arrive à sa hauteur en courant, tout sourire. Il a oublié son ordinateur. Jamais il n’oublie son ordinateur. Il le lui dit. Elle rit. Elle a le même rire que sa mère. Un joli rire franc, jamais moqueur. Il la remercie le plus sobrement possible et l’enjoint à retourner s’abriter au café parce qu’elle est sortie sans son manteau et qu’il pleut de plus en plus fort. Elle obéit et cours dans la direction opposée. Au tiers du parcours elle se retourne et sans se départir de son si beau sourire fait un petit geste de la main. La robe mouillée, le soutien-gorge noir et la culotte sont maintenant bien visibles. L’homme ressent pendant un court moment un début d’érection.

   En se dirigeant vers chez lui, l’homme se dit que rien ne changera jamais. Le Jaune restera jaune. Ses soeurs seront ses soeurs. Il devra s’accoutumer à sa solitude plus si nouvelle que ça. Mais soudain, en regardant la sacoche de son ordinateur portable, il se prit à s’amuser, en souriant à son tour pour la première fois depuis des lustres, à calculer objectivement la probabilité qu’il y avait à ce que cette jeune femme à la fascinante robe jaune y ait laissé un message quelconque. Quelques années auparavant il n’aurait pas supporté le stress de ce chat de Schrödinger adapté à la vie sociale et sexuelle. Tant que l’homme ne vérifie pas, la robe jaune est à la fois à lui et pas à lui. Quantiques visions de l’acte sexuel. Juste un pénis introduit ou non dans un vagin et y faisant ou non des va-et-vient. Ou les deux en même temps. Le sexe et pas de sexe en même temps.

   Le Jaune, lui, pourtant, lui appartient pourtant pour de bon. Et dans un éclat de rire il se dit que l’hypothétique message dans sa sacoche attendra bien qu’il soit de retour chez lui.

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2 décembre 2009 3 02 /12 /décembre /2009 14:47

Ce titre fait référence de façon explicite à une chanson d'un de mes groupes préférés, Expérience. J'aurais des choses à dire mais j'ai comme qui dirait un coup de mou, alors je me contente de vous faire lire cette dernière nouvelle envoyée en 2004 au PJE, en même temps que "Morioka no Sayaka". Vous imaginerez que ça n'ait pas plu, et que mes intentions premières n'ont pas été comprises du tout, une fois de plus. J'ai assez (litote, toujours) peu apprécié le "conviendrait à un lectorat de moins de 16 ans, au plus" mais ai digéré depuis, quand même. On se retrouve mal jugé parce qu'on essaye de sortir comme on peut des sentiers battus. Je ne me justifierai pas. Ceci est juste un dialogue intérieur à la con comme chacune et chacun d'entre nous peut en avoir, n'importe quand. Bonne lecture quand même. J'essaierai mieux demain.




            Ne rien attendre                                                 


   « Il ne faut rien attendre de moi, tu sais… » m’avait-elle dit soudain, au milieu d’une ville nocturne comme les autres. Loin de nous, à travers les bruits de moteurs frustrés de klaxons fatigués ou de sirènes éteintes je pus entendre distinctement un chien hurler à la mort. J’ignorais si de son côté elle avait le cœur à y prêter attention. J’en doute. Elle n’aimait pas les chiens, et encore moins les chiens qui hurlent à la mort. Ajouté à cela qu’il ne fallait rien attendre d’elle. Dommage et désolé pour le roquet au timbre de ténor et pour tous ses congénères mais j’avais nettement plus de raisons que lui d’être triste. Il ne fallait rien attendre d’elle. On a beau le savoir, on a beau s’y « attendre » cela fait toujours de la peine. Je l’avais senti venir, pourtant, je l’avais senti venir dès notre première rencontre. Elle était mignonne à croquer mais le croisement de nos regards avait fait un gros flop. Oui, c’est le mot, un flop. Un plouf. Comme une pastèque lancée dans une piscine, le goût sucré en moins. On supposera que je suis la pastèque, elle la piscine ; car elle avait les yeux très bleus. Mais n’allez pas croire pour autant que je sois un albinos à la peau verte. Je donne simplement la pastèque en guise d’exemple de truc lourd et lent du bulbe ; car chacun sait que le Q.I. d’une pastèque n’a rien à envier à celui d’un animateur de télévision du samedi soir. Quoi que l’on puisse dire j’étais tout simplement mal barré avec elle, depuis le début, dans tous les sens du terme. Elle me plaisait beaucoup, pourtant, vous l’aurez compris. Selon moi objectivement douce gentille drôle et futée. Mais puisqu’il ne fallait rien attendre d’elle… En fait je me demande si ce n’est pas là la pire chose qu’une femme quelle qu’elle soit puisse dire à un homme quel qu’il soit. Ce n’est pas parce qu’on ne représente rien qu’on n’a pas droit à un minimum de considération, je pense. Même le néant a ses théories et ses théoriciens. Ainsi suis-je convaincu qu’elle n’a jamais éprouvé ne serait-ce que le moindre soupçon d’intérêt pour moi. J’étais plus que transparent ou vide ou inexistant à ses yeux. D’une certaine manière je pourrais m’en vanter. Ce n’est pas rien d’être complètement rien, je pense. Et le néant à un je-ne-sais-quoi de classe dans la connotation, je trouve, une sorte de douce odeur de fin du monde, en un mot, il symbolise de la meilleure façon ce vide caractéristique que le regard d’une femme vous renvoie avant même que celle-ci se rende compte que vous ne l’attirez pas. Vide qu’avec mon expérience je suis passé maître dans l’art de déceler en moins de temps qu’il ne faut à une pauvre pastèque tombée sur l’autoroute A6 un 15 août pour se faire écraser par un vacancier sans pitié pour les cargaisons des remorques de ses congénères, si tenté que l’un de ces congénères ait la drôle d’idée d’emmener une pastèque avec lui en vacances dans sa remorque. Cela a l’avantage d’éviter les pertes de temps ou de longues embardées dans le ridicule. Il ne fallait rien attendre d’elle. Soit.

   Il ne fallait rien attendre d’elle, mais c’était elle qui m’avait aperçu par hasard en train de traverser la rue, c’était elle qui m’avait interpellé. Il lui avait fallu crier très fort parce que depuis quelques mois je ne me séparais plus du baladeur MP3 qu’un richard de mes amis m’avait donné, et avec lequel je prenais un réel plaisir masochiste à me rendre sourd. Oui, je suppose qu’elle a crié très fort, elle a crié mon nom très fort et je ne l’ai pas entendue. Alors c’est elle qui est venue à moi, elle a même un peu couru, je crois, elle m’a contourné et s’est posée devant moi avec un grand sourire. J’ai dû prendre mon air niais de d’habitude, puis bafouiller quelques mots de surprise que j’ai probablement réussi à enrober d’autres mots d’excuses foireuses, parce que je me rappelle qu’elle a ri. Mes oreilles sifflaient un peu. J’ai dû avoir l’air vraiment stupide. Mais elle a ri. Peut-être n’était-elle non plus pas vraiment à son avantage dans cette situation. Très légèrement essoufflée, les joues rosies par le froid léger ; il faisait nuit mais le rouge de ses joues déteignait dans les lumières des réverbères. Elle n’avait pas mauvaise haleine mais on sentait qu’elle avait bu et fumé. Ses yeux étaient clairs malgré tout. Elle parlait tout doucement, comme si m’avoir crié dessus l’avait gênée et qu’elle voulait se rattraper. Parfois je devais me pencher sur elle pour mieux l’entendre et, loin au-dessus des odeurs de fumée ou d’alcool, ses cheveux envoyaient leurs parfums multiples d’essais à répétitions de shampooings de toutes sortes de toutes provenances. Alors elle reculait imperceptiblement, toujours avec le même sourire aux lèvres, sans hausser la voix, peut-être un peu plus intimidée, et continuait à me poser des questions soit insignifiantes soit tout à fait sensées, mais toujours irrésistibles dans l’intonation. Mes oreilles sifflaient un peu. Ses yeux étaient clairs, malicieux, peut-être un peu fatigués mais craquants par leur fatigue même. Ils inspiraient puis expiraient la satisfaction et la joie de vivre comme de véritables poumons. Pourtant dans chacun de leurs souffles je pouvais percevoir le message premier. Il ne fallait rien attendre d’elle. Mes oreilles sifflaient un peu. Il ne fallait rien attendre d’elle et toutes les pastèques rouges roses et vertes du monde et toutes les piscines olympiques du monde se rallieraient à ma cause d’amoureux transi – diable que j’ai horreur de cette expression – que cela ne changerait pas le problème. De mon côté il fallait que j’assume, quand elle était près de moi, les sourires, les yeux bleus, les plaisanteries les exclamations les silences, quand elle était loin de moi, tous les moments interminables où elle me manquait, sans ses sourires, ses yeux bleus, ses plaisanteries ses exclamations ses silences. Mes oreilles sifflaient un peu. Mais qu’importe la souffrance, que valent les atermoiements inutiles, les plongeons, puisqu’il ne fallait rien attendre d’elle. Surtout ne pas se poser de questions, surtout ne pas se poser de questions.

   Il est fort probable que j’aie trop attendu de sa part. C’est même certain. Personne ne me blâmera je pense, c’est une réaction humaine. Je pense. Je souhaiterais juste ne pas avoir à le formuler à haute voix. Question de dignité. Un homme a le droit de taire ce genre d’erreurs. Elles ne concernent personne d’autre que lui. Il est libre. Plus que libre. Plus que triste, mais plus que libre. Et ne lui demandez pas ce qu’il compte faire de sa liberté dont, dans ces moments interminables, il se fout comme des cotations boursières d’il y a 30 ans. Je tiens à préciser ici que dans mon cas, même les nouvelles les plus récentes de Wall Street ou de Tokyo ne me font ni chaud ni froid, y compris et peut-être surtout lorsque je suis en pleine forme. Chose étrange qui m’arrive, parfois, sans prévenir. Le fait est qu’on ne donne jamais le cours de la pastèque, ni celui des piscines privées ou même des piscines olympiques. Ce serait intéressant, pourtant. Il paraît que d’après l’état du Marché on peut prédire l’avenir de la planète. Le Marché passe pour un devin. J’ai entendu quelque part que depuis les origines de l’Humanité, les devins et les diseuses de bonne aventure, les voyantes lisent dans toutes sortes de choses pour prédire l’avenir. Je me demande si dans les entrailles d’une pastèque chlorée, l’un d’entre eux ou l’une d’entre elles aurait pu m’avertir de ma future déconfiture, ou même prédire que je ferais ici même, involontairement je vous le jure, un jeu de mot doublé d’une allitération absolument nulle, et pourtant tellement à l’image de mon esprit perturbé. Je me demande si une pastèque aurait pris ses plus jolis pépins pour écrire à mon intention au fond d’une assiette quelconque « Méfie-toi, méfie-toi bien, il ne faudra rien attendre d’elle ». Le fait même que je me flagelle à écrire ceci laisse à croire que je ne sais toujours pas écouter ma « pastèque intérieure ». Quel dommage. Quel manque de discernement. Quel déni d’introspection. Cela aurait pourtant permis de me protéger d’une partie des troubles qui m’affectent encore aujourd’hui. Je dirais que ma vie a toujours manqué de sucre, mais qu’importe. En fait c’est peut-être une chance si on considère le sucre comme le futur premier poison mortel du XXIe siècle. Mais qu’importe. Dans tous les cas il n’aurait quand même rien fallu attendre d’elle.

   Il ne fallait rien attendre d’elle. Plus on les écrit plus les phrases perdent leur sens. Je dirais que ça peut être une bonne thérapie pour tous les malheureux muets qui n’ont pas accès à la méthode Coué, ou tous les gens intelligents qui ont compris depuis longtemps que cette méthode Coué ne marche jamais, et encore plus les malheureux muets intelligents qui n’y ont pas accès mais qui ont compris depuis longtemps qu’elle ne marche jamais. Bien qu’en y réfléchissant un peu, je ne voie au final pas comment la méthode Coué pourrait marcher, si elle marchait, dans un cas tel que celui-ci. Tout simplement aucun rapport. Comme elle et moi.

   Il ne fallait rien attendre d’elle. Continuons quand même, les pastèques sont avec nous. Il ne fallait rien attendre d’elle, mais moi j’avais envie de la prendre dans mes bras de l’embrasser de lui faire l’amour. Les pastèques rougissent, mais c’est la stricte vérité. Il ne fallait rien attendre d’elle, et malgré tout je suis un homme. Et aucun homme, quel qu’il soit, amoureux d’une femme, quelle qu’elle soit, ou tout d’abord fortement attiré par une femme, quelle qu’elle soit, ne pourrait supporter que cette femme, quelle qu’elle soit, lui dise qu’il ne faut rien attendre d’elle. Cela n’est pas humain. Les pastèques acquiescent. Mais bien sûr une femme, quelle qu’elle soit, peut tout à fait dire de façon claire à un homme, quel qu’il soit, qu’elle ne veut pas de lui ou qu’ils ne sont pas faits pour être ensemble. Cela n’est évidemment pas à remettre en cause. Les pastèques confirment, bien qu’un peu noyées dans ma rhétorique mal entretenue, infestée par des algues toutes plus étranges les unes que les autres. Mais qu’importe.

   De nous deux je ne sais qui avait au final le moins de choses à dire à l’autre. Moi, probablement. Admettons, pour une fois. Elle me raconta que sa prof d’histoire de l’art était morte d’une crise cardiaque deux jours auparavant, en faisant de la natation à un rythme trop élevé pour ses capacités et son âge. Elle ajouta qu’elle la détestait, et qu’elle avait honte de ne pas ressentir la moindre tristesse ou le moindre remords d’avoir été si peu attentive en cours. Je ne sus pas plus que d’ordinaire dire quelque chose d’intelligent.

   Puis nous nous sommes quittés, elle, avec ses yeux bleus avec son sourire et ses mots gentils et ses silences, moi, dans l’obscurité absolue. Arrivé dans mon appartement je me suis écroulé sur le lit, exténué, le visage enfoncé au plus profond de la couette. Puis je me suis retourné, après cinq minutes en apnée. J’ai fixé le plafond blanchâtre. À la lumière du néon il prenait la même couleur que l’intérieur de l’écorce d’une pastèque. Dehors on pouvait entendre copuler deux chats du quartier. Chez cette espèce la femelle souffre toujours beaucoup pendant l’accouplement, à cause du mâle et de son pénis hérissé comme un harpon.

   Il ne fallait rien attendre d’elle.

   J’avais prévu de pleurer le lendemain.

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22 novembre 2009 7 22 /11 /novembre /2009 03:00

J'ai encore une fois pas mal hésité à mettre en ligne aujourd'hui ou demain le texte qui suit. Je me suis décidé en imaginant que le weekend faisait une bonne plage aux nouvelles.
Il s'agit donc d'un texte que j'ai écrit, encore une fois, pour le Prix du Jeune Ecrivain. En plaisantant, je le décris comme mon "chef-d'oeuvre". Je venais tout juste d'arriver au Japon et forcément, ça a influé sur mon mental.
Cette fois-ci le jury semble avoir apprecié puisque j'ai eu le droit de participer à des ateliers, auxquels je n'aurais de toute façon pas pu me rendre puisque je me trouvais très loin. En revanche, je n'ai pas apprécié le ton impérieux de la lettre m'expliquant que je manquais de "construction", alors que c'est précisement cette construction et reconstruction que j'ai retravaillées pendant près de 4 mois après la rédaction.
Enfin, ayant atteint l'âge limite, j'étais un peu triste de ne plus pouvoir participer, mais je viens tout juste de me rendre compte en écrivant cet article, que cet âge a été repoussé pile au moment où ma candidature aurait de toute façon été refusée...
Sinon, je mets aussi cette nouvelle en ligne pour mon frère, à qui elle a plu, qui me l'a souvent gentiment dit et qui compte sur moi pour continuer dans ce sens.
Je suis effectivement assez fier de ce petit bout sombre de ce que j'ai dans la tête et que j'ai réussi, pour la première fois, à poser sur le papier. Je crois avoir bien résumé la misanthropie qui me gêne, de temps à autre.
Je crois que je n'ai jamais écrit quoi que ce soit que me ressemble autant.
J'espère évidemment que ça vous plaira.


                 
                             
                             
7 heures du matin
  
  
Un homme qui rentre chez lui à 7 heures du matin est un homme seul. Quelles que soient les circonstances. Quelle que soit la douleur de vivre. Certains se trouvent des excuses, bien sûr, pour protéger leurs minuscules familles, d’autres des peaux peu farouches, des cuisses promptes à s’écarter. Mais le fait est là. Lorsqu’il rentre chez lui à 7 heures du matin, un homme quel qu’il soit est quoi qu’il puisse dire toujours seul, probablement dans le pire sens du terme. Loin, très loin de cette solitude que l’on s’imagine avoir choisie, cette soi-disant paix de l’âme qui apparaît plus comme un pitoyable cache-misère sur une vie diaboliquement monotone que comme une barrière viable contre l’impermanence des choses. Non, d’ailleurs, une chose est certaine, une telle barrière ne peut exister. Surtout à 7 heures du matin.
  
   Mais allons plus loin.
  
   À 7 heures du matin, un homme est toujours seul, dans tous les cas. Réveillé à 7 heures du matin, quoi qu’il fasse, un homme est la solitude incarnée. Il faut rayer de l’inconscience collective ces clichés monstrueux style le soleil vient de se lever, l’ami qui vous veut du bien, le papa la maman les enfants, deux grand maximum, le mas en Provence avec les chevaux sortis dont ne sait où, plus les oliviers, ou quelque chose d’approchant, et les gamines qui sourient à vous donner des envies de meurtre. À 7 heures du matin un homme est toujours seul, la plupart du temps déjà lavé rasé habillé, assis à une table plus souvent sale que propre, devant son café dégueulasse, dans sa cuisine aux vitres grasses, des vitres obèses qui ne savent plus laisser passer que la grisaille citadine, même à la campagne, pardon, en « zone péri-urbaine ». L’homme devant son café à 7 heures du matin est fondamentalement différent de l’homme devant son café à 4 heures, 5 heures ou même 6 heures du matin. Il n’est rien de moins que l’homme le moins exceptionnel de la planète, où des centaines de millions d’hommes « modernes » (ou comment condenser l’ensemble des utilisations des guillemets dans une seule) sont tout comme lui des hommes « modernes » qui à 7 heures du matin sont des hommes seuls, assis à la table grise de leur cuisine grise dans leur ville grise ou leur zone péri-urbaine grise, pour peu qu’ils aient la chance qu’à 7 heures du matin le soleil soit effectivement levé, car il faut savoir que pendant une bonne partie de l’année, sur l’hémisphère nord comme sur l’hémisphère sud, le soleil, lui, à 7 heures du matin, pionce encore parce qu’il sait mieux que quiconque que l’hiver est la saison rance pourrie viciée décomposée zombie des villes où habitent les hommes « modernes » et qu’il préfère passer le plus de temps possible de l’autre côté de notre planète, sans se rendre compte, car le soleil est finalement bien plus stupide qu’on le prétend, que tout ce foutoir vient majoritairement de lui, cet énorme machin bouillant au-delà de l’entendement ce gros paquet de morve en fusion autour duquel nous tournons et tournons et tournons sans cesse (en compagnie des dizaines d’autres crottes de nez que sont les planètes plus leurs satellites) et que nous laissons nous faire tourner tourner et tourner sans cesse sans lui poser la question, qu’il ne se pose même pas lui-même une seule seconde, de savoir pourquoi lui aussi tourne tourne et tourne sans cesse autour de quelque chose d’encore plus gigantesque, dans un boxon d’ordre cosmique qui dépasse tout ce que des publicitaires pourraient inventer pour réussir à vendre un produit de beauté à celle dont nous n’avons pas encore parlé, on nous pardonnera le manque d’élégance, la femme « moderne », souvent l’épouse de l’autre.
  
   À 7 heures du matin l’homme moderne est seul, car sa femme est soit déjà partie au boulot soit sous la douche soit en train de dormir comme une marmotte, parce que comme d’habitude elle est restée coincée au bureau jusqu’à très tard dans la nuit, et qu’elle se réserve au moins une matinée ou deux par semaine pour recharger les batteries. Parfois, au lieu de penser qu’il aimerait avoir un peu plus de temps à vivre avec elle, devant son café imbuvable il arrive que l’homme moderne réfléchisse à sa place dans sa société. Et ici le pronom possessif à son importance, parce que la société avec un grand S est aussi la sienne, celle créée par ses ancêtres, celle que ses ascendants ont corrompue, celle à laquelle il contribue, en tant qu’homme moderne qui à 7 heures du matin est seul, devant son gerbatif, quoi qu’il dise.
   Bien sûr il arrive aussi à l’homme moderne d’avoir procréé. Ne serait-ce que pour la survie de sa société. Normalement, cela dépend leur âge, à 7 heures du matin les enfants dorment encore. C’est à l’école primaire ou au collège qu’ils grandissent le plus vite, pressés qu’ils sont devenir de futurs hommes et femmes modernes. Ils ne sentent pas vraiment mauvais mais leur haleine acétonée, emplie des rêves et cauchemars inachevés de la nuit, atteint parfois les sommets du désagréable. À 7 heures donc, normalement, ils sont encore dans leur lit, où en train de se lever, et se dirigent machinalement à petits pas lents vers les toilettes, puis vers la cuisine, où ils s’assoient, s’effondrent dirons-nous, sur leurs tabourets avec une lourdeur presque étudiée, leur souffle en guise d’aura nauséabonde, avant d’avaler sans un mot leurs céréales dans un vacarme de craquements hypnotiques.
   Il y a en vérité longtemps que les enfants de l’homme moderne ont arrêté de chercher à lancer la conversation avec leur père autour de la table pégueuse du petit déjeuner. Et plus longtemps encore qu’ils ont abandonné l’idée de l’embrasser. Mais cela ne le préoccupe pas, lui, l’homme moderne, qui de toute façon a il faut le savoir du mal à supporter l’haleine de sa progéniture le matin, et qui est ravi de ne plus en être importuné alors qu’à 7 heures il ne sait rien faire d’autre que se mettre lui-même au centre de sa société, par la pensée, voire la réflexion, imagineront certains. À 7 heures du matin un père oublie ses enfants, malgré tout ce qu’il pourra croire, malgré sa force d’auto-persuasion Coué®. Il aura beau se protèger derrière de pathétiques c’est pour eux que je fais ça, à 7 heures du matin en trempant les lèvres dans son café innommable l’homme moderne, quoi qu’il dise quoi qu’il écrive, ne pense à rien d’autre qu’à lui et qu’à sa place, son poste, son siège, sa position. Ses enfants sont par un hasard extraordinaire tout pour lui, mais le café bouillant dégueulasse le ramène toujours et encore toujours à lui, lui seul, son poste sa place, sa position, son siège, son compte pardon ses comptes en banque, le remboursement de l’emprunt pour l’appartement et la maison de vacances, les assurances, la voiture, les factures, les meubles trop nombreux, l’ensemble des frais de scolarité des enfants, oui effectivement il pense à eux, ils lui coûtent très cher, les écoles publiques sont tellement délabrées et dangereuses de nos jours que voulez-vous on a plus le choix, donc oui c’est vrai il pense à eux pardon encore de l’avoir mal jugé. De fait il pense aussi à sa femme, qui n’a pas vraiment les moyens de ses goûts vestimentaires, par exemple, car elle est mal payée mais c’est normal c’est une femme. À 7 heures du matin l’homme moderne ne songe par ailleurs jamais au fait qu’il se souvient mieux de la somme exacte qu’il a déclaré aux impôts l’année précédente que de la dernière fois qu’ils ont fait l’amour. À 7 heures du matin l’homme moderne a de l’argent qu’il dépense et cela le rend anxieux. Et cela le focalise cérébralement, voire mécaniquement sur lui-même, ou sur sa brique de caféine en train de refroidir, alors que de l’autre côté de la table sale, avec leur haleine trop forte en train elle de se sucrer au lait des céréales ses enfants n’ont déjà plus l’envie de communiquer avec lui, donc avec le monde qui les entoure.
  
   À 7 heures du matin l’enfant de l’homme moderne n’a envie de rien. Surtout pas d’aller à l’école. Il voudrait juste qu’on le laisse dormir encore un peu. Plus qu’à aucun autre moment de la journée, il ne comprend rien mais sait tout. Ou l’inverse, peut-être. Certes il existe des enfants qui aiment l’école. Il en existe aussi qui ne pleurent jamais, qui sont sages, qui ne font pas de caprices, qui se taisent quand on leur demande, qui n’embarrassent pas en public, qui mangent de tout, qui ne font jamais au lit, qui se mettent à leurs devoirs par eux-même. À 7 heures du matin, encore moins qu’à toute autre heure de la journée l’enfant de l’homme moderne ne connaît pas sa chance de ne pas être encore complètement devenu comme son père. Il a des crottes aux quatre coins de ses yeux bouffis, parfois des traces de salive sèche aux commissures des lèvres, et ne sait pas, ne saura jamais combien en tant qu’enfant d’homme moderne son champ de possibilités demeure, et restera limité jusqu’à sa mort.
   Imaginons qu’il s’agisse d’une fille. Choix arbitraire, mais peu importe cela va bien avec ce qui vient juste d’être dit. Avant de se vouloir injuste la Vie, avec un grand V s’il vous plaît, est l’Arbitraire avec un grand A, merci. Un point c’est tout. Inutile d’essayer de discuter.
   Imaginons donc qu’il s’agisse d’une fille. Elle ne pense pas encore études, voyages à l’étranger, diplômes, stages bénévoles en entreprise, heures supplémentaires, recrutement, licenciement, entretien d’embauche, embauche, exploitation, licenciement, entretien d’embauche, on vous rappellera, entretien, trop qualifiée, entretien, pas assez d’expérience, entretien, embauche, démission, entretien, refus, entretien, période d’essai, restructuration, déménagement, emménagement, entretien d’embauche. Démission ou licenciement. Congé de maternité. Mariage divorce. Pension alimentaire. Gardes. Droit de visite. Frais de Justice. Non, elle n’y pense pas encore. Et  répétons-le elle ne connaît pas sa chance.
   La toute petite fille de l’homme moderne pense plutôt au froid qui lui brûlera les joues et les doigts dès qu’elle aura mis le nez dehors. Elle sait ce qui l’attend à l’école. Les odeurs de craie mêlées à celles des blousons des pulls des bonbons des cheveux, les cris à la récréation et les chuchotements en classe, les chamailleries les réconciliations, les secrets répèt’-le pas hein ? j’te jure j’le répèt’rai à personne, l’attente des sonneries, le cœur qui se relâche à chaque fois qu’elles résonnent, surtout la très chère Dernière Sonnerie, celle qui mène à on ne sait quel bonheur d’en avoir fini pour la journée et l’étrange besoin de rentrer chez soi, malgré tout. À 7 heures du matin la toute petite fille de l’homme moderne ne peut encore moins qu’à toute autre heure de la journée se rendre compte de la valeur émotionnelle qu’aurait dû prendre plus tard dans sa vie le souvenir du chemin du retour de l’école. Elle est trop jeune pour en en être capable, mais elle s’en fiche et elle a raison. Le fait est que ce n’est pas non plus son dévoué père qui l’aidera à carpe diemer son enfance et sa jeunesse, trop occupé qu’il se prétend à jouer l’adulte-responsable-qui-travaille-et-gagne-de-l’argent-pour-sa-famille-avant-tout.
   À 7 heures du matin la petite fille de l’homme moderne aura beau penser à Lilian, son amoureux qui lui a fait un bisou sur la bouche trois jours auparavant, elle ne pourra pas passer outre cette instinctive angoisse quotidienne qui l’étrangle au réveil. Et pis en plus Lilian, hier, à la cantine, il a mangé à côté de Clothilde. C’est sûr que c’est elle qu’il préfère, moi il vient jamais avec moi à la cantine. D’toute façon il est trop bête, je veux plus le voir. À 7 heures du matain la fille de l’homme moderne intègre juste la toute première partie de l’ensemble des données qu’elle se verra devoir gérer pour mener sa future vie sentimentale puis sexuelle. Ou l’inverse. Et en face d’elle son père n’a rien d’un bon exemple.
  
   Retournons à la base.
  
   Un homme qui rentre chez lui à 7 heures du matin est un homme seul. Il se cherchera des excuses, plus tard voire beaucoup plus tard, de tous les côtés, celui de sa femme, de ses enfants, de ses amis, de sa maîtresse avec qui il a passé la nuit, si maîtresse il y a, et il pensera s’en tirer à bon compte. Il songera peut-être même à sa condition d’homme moderne. Si maîtresse il y a il s’attardera sur les baiseries précédentes, celles de la veille, de l’avant-veille, ou toutes les autres. Il se dira, entre deux pensées paraît-il pures, que même à 7 heures, en tant qu’homme moderne il a le droit de se nourrir du souvenir tout frais de l’odeur de cette femme, moins douce mais plus belle et plus intelligente que la sienne. Sa femme pas l’odeur. Il se dira qu’il l’aime aussi bien sale. Sa maîtresse. Oui, même à 7 heures du matin l’homme moderne s’autorise des égarements salaces sur le parfum de ce bas-ventre d’ordinaire proscrit mais finalement d’une banalité à vous tirer des larmes parfois, si on réfléchit bien, quand on y revient. Et pourtant, pas une seule seconde, l’homme moderne, l’homme du XXème siècle qui débande devenu XXIème en semblant de début d’érection glorieuse, l’homme d’aujourd’hui pleine période cul-entre-deux-chaises ne se questionne sur les raisons, si raisons il y a, qui le poussent à avoir envie, à 7 heures du matin, assis à sa table mal essuyée voire gluante, dans sa cuisine grise, devant son laxatif non-remboursé, qui le poussent à vouloir mettre son nez où il peut pour respirer à pleins poumons la transpiration accumulée d’une journée de dur labeur dans la culotte de cette belle et ferme jeune femme qui ne dit jamais non. Il aime quand le tissu colle et que les chairs glissent et se frottent entre elles, il aime ce fumet indescriptible de la Femme telle qu’elle est, la sueur en guise d’ornement. Non, pour lui, la saleté d’une journée n’est pas saleté, elle est vive, travailleuse, sexuelle dans sa teneur en bon stress à relâcher, et puisque tous en profitent, les congénères de l’homme moderne, devenus monstres de glaces réchauffées, prêts à tout pour tringler le plus grand nombre de collègues femelles possibles, dans des endroits supposés inviolables, pourquoi se priver, les toilettes, quoi les toilettes ? vous plaisantez, les toilettes, moi c’est le bureau du directeur ou rien, j’vous l’dis, bande de frustrés du gland ! Perrine tu as trop bu, arrête un peu ; bah oui, je nie pas sinon je vais avoir l’air conne. L’homme moderne n’est ni plus ni moins sexué que ses ancêtres, il a juste des besoins qui savent apparaître à tout moment de la journée, y compris à 7 heures du matin. Simpliste paradoxe d’un mâle qui se raidit à la seule évocation intérieure de l’odeur de la chatte de sa dernière maîtresse, paradoxe qui veut qu’entre deux apitoiements sur lui-même et quatre auto-flagellations ce mâle d’aujourd’hui arrive quoi qu’il lui en coûte à se recentrer sur sa verge et les fragrances intimes d’une femme qu’il ne connaît pour ainsi dire pas, cette odeur finalement horrible qu’il adore, ne serait-ce parce qu’elle le fait sortir de son quotidien, cette odeur dont il a besoin, lui l’homme moderne qui ne supporte pas l’haleine de ses propres enfants au réveil. Mais avant de lancer un jugement hâtif il faut lui pardonner. À 7 heures du matin, l’homme moderne a le droit d’être pardonné, en tant que travailleur, en tant que père, en tant que mari, amant, humain. 7 heures du matin est l’heure où l’homme moderne, harassé par la solitude, ne s’appartient plus. C’est l’heure où chaque être doit pour survivre se rétracter cérébralement jusqu’à à la mort de toute réflexion personnelle autre que les simples calculs matérialistes et/ou libidineux, sous peine de sombrer à long terme dans la folie. Cela tient de l’instinct. Et  on ne peut blâmer les instincts.
   Depuis qu’il est soumis aux 7 heures du matin, l’homme moderne a appris à effacer les quelques rares souvenirs bienheureux qui lui restaient de l’époque où il avait à peu près l’âge de sa fille. C’est une question d’expérience. Elle, elle comprendra bien assez tôt. Rien ne presse. Jamais. Lui, il y encore 2 ou 3 ans il lui arrivait encore de verser une larme sur ce qui a été et ne sera jamais plus. Aujourd’hui c’est fini. Question d’expérience, de motivation, de fierté mal placée, d’épargne paraît-il intelligente, de sous-vêtements propres.
  
   Mais maintenant revenons aux fondements.
  
   Les vacances d’été approchent. Le soleil du matin caresse les carreaux de la cuisine. Pour le petit-déjeuner sa mère lui a préparé les œufs au bacon dont il raffole. L’odeur parfaite flotte dans toute la maison. Au collège, Marion l’attend. Cela fait un peu plus d’une semaine qu’il lui a fait sa déclaration. Par bonheur ses sentiments étaient réciproques. Alors ils ont souri tous les deux, ils se sont dit qu’ils ont été bien bêtes d’attendre, de faire les timides etc… Après il a dû y avoir une légère brise, les cheveux dans les yeux, les souffles courts, haleines mêlées, chewing-gums fraise, citron, plus shampooing, et le son fouillis de la petite grande ville qui part en sourdine pour ne laisser qu’eux, tous les deux, leur innocence forcée en bandoulière. Il s’assoit à la table, propre si vous êtes passéistes, grasse si vous vous considérez réalistes, tourne la tête vers la fenêtre et réussit à réaliser combien il se sent heureux en cet instant précis, cet instant pas si court que ça où aussi loin que porte son regard, à savoir l’épicerie d’en face et son ciel bleu immaculé qui flotte juste au-dessus, il ne le mène qu’à ce genre de pensées positives qui ne naissent, entre deux tentatives de suicide mental, que dans les esprits purs des collégiens, et que tout homme ou femme moderne cherche inconsciement à faire renaître tout au long de sa vie d’adulte, en vain.
   Sa vie d’adulte l’homme moderne se la mange tous les jours, tous les matins, à toutes les sauces, fiscales, perverses, calculatrices, dépravées, alors que sa fille, déjà lasse, mais pas encore lassée, trop jeune pour ça, la petite vierge-à-son-papa qui un jour ne le sera plus, mais plus d’inquiétudes non plus au niveau du père, il a trop à faire pour se pencher sur les interrogations de sa fille qui sent mauvais de la gueule c’est une infection, faites quelque chose, éloignez-la de moi je n’ai jamais être voulu père de toute façon ; pourquoi ? je sais pas mes parents m’ont trop aimé, sans doute ; un classique, alors que sa fille a fini ses céréales et se lève, sa vie l’homme moderne se la prend à chaque fois qu’il la regarde dans les yeux, quand il y parvient, cette gamine qui est la sienne et qui s’éloigne de lui en même temps que sa croissance l’appelle.
   À 7 heures du matin et des poussières le père laisse partir sa fille, de toute façon aujourd’hui elle a le teint encore plus terne que d’habitude, baisse la tête fixe le fond de sa tasse et replonge dans des remords qui jamais non jamais ne diront leur nom. À s’absorber dans la contemplation amère des quelques auréoles noires sur les parois et le minuscule gouffre grâce auquel le tout est censé tenir en place, il se rend compte que ce tout n’aura tout simplement jamais de fin. Parce qu’il est lié au matin, à 7 heures, et à la solitude prégnante de ces aubes à moitié-prix. Le réfrigérateur émet un petit claquement et se tait. Un souffle inconnu, monstrueux, envahit l’appartement. Bien que l’homme moderne l’ignore ostensiblement, il s’enroule avec agilité autour de lui comme un serpent. Arrivé au niveau du cou, le silence se découvre et se met à resserer ses anneaux. Mais cela fait longemps que l’homme moderne ne meurt plus de silence. Il est immunisé.
  
   Ce soir je reste dormir chez Angélique, Maman a dit oui. C’est son père qui viendra nous chercher à l’école.
   La petite fille de l’homme moderne nettoie son bol et sa cuillère au dessus de l’évier, les met dans la machine et se redirige vers sa chambre, sans se retourner. Son père l’a entendue, le silence aussi. Une fois en tête à tête, ils font corps tous les deux. Le silence, petit frère de la solitude, ne s’avoue jamais vaincu. Tout comme sa grande soeur. C’est pour cette raison que l’homme moderne a les épaules si basses. Le temps, lui, le vrai père de tous les pleurs toutes les guerres intérieures, passe de son côté, imperturbable, 5 minutes, 1 heure, 10 ans, peu importe, les 7 heures du matin ne manqueront jamais à l’appel, elles. Et soudain le réfrigérateur se remet en marche. Le silence n’abandonne pas. Il serre et serre encore. L’homme moderne plie mais ne rompt pas. Il ne peut pas se permettre de rompre, sa chemise blanche est toute neuve, la table est grasse. Alors il met sa tête dans ses mains ; et ne pleure pas. Prise de conscience. Les 7 heures du matin ont gagné. L’odeur des œufs au bacon, le ciel bleu au-dessus de l’épicerie, Marion et le soleil, le vrai beau soleil des premières heures du jour n’ont probablement jamais existé.
  
   Si par hasard il s’avérait qu’ils aient été bien réels cette fois-là, il devait de toute façon déjà être la demie, ou moins le quart.

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14 novembre 2009 6 14 /11 /novembre /2009 04:31

Je n'ai jamais aimé les nouvelles, de la même façon que je n'ai jamais aimé les court-métrages. Ils ne sont pour moi qu'un moyen frustrant de se faire connaître. Quand ils sont réussis, les spectateurs ou les lecteurs veulent en savoir plus, et c'est normal. Ce ne sont que des exercices. Malgré cela, dans mon souci de mettre en ligne le peu que j'ai achevé, voici une nouvelle que j'ai envoyé au "Prix du Jeune Ecrivain" il y a quelques années maintenant. Ce n'est pas forcément la plus réussie, et comme vous vous en doutez, je me suis ramassé, mais le style est je crois complètement différent de ce que j'ai pu vous donner à lire jusqu'à présent. A l'époque, mon intention était de raconter quelque chose de façon plutôt comique à partir de quelques éléments réels (ne me demandez pas lesquels; ce ne serait pas amusant ^^ ) ayant à voir avec ma passion tout aussi réelle pour le Japon. L'ambiance presque fan service, vous le verrez, est un hommage sinon un clin d'oeil appuyé à tous les manga shônen ou même shôjo que j'ai lu et les anime que j'ai pu voir depuis mon adolescence. Demander au jury de Guéret, dans la Creuse, d'adhérer ou même de saisir la référence "impure" était, sans aucun mépris je le promets (je suis un provincial dans l'âme), probablement perdu d'avance et stupide de ma part.
L'important étant surtout que ça vous plaise, à vous, aujourd'hui. Personnellement, je confesse avoir un peu rigolé en le relisant et c'est également pour ça que ce texte se retrouve ici.
Dans tous les cas je reviendrai sur ce concours, et mettrai certainement en ligne un de ces jours les 2 ou 3 autres nouvelles que j'avais envoyées.
             


                 Morioka no Sayaka

  
   Morioka. Ville japonaise d’environ 300000 habitants, située à environ 500 kilomètres au nord de Tokyo, chef-lieu du département d’Iwaté, où il ne se passe, n’ayons pas peur des mots, il faut regarder les choses en face, absolument rien. Du moins, pour les non-initiés ; à savoir 99,9% de la population mondiale, au bas mot. Et qui parmi les non-initiés pourrait être moins initié que Jürgen Leisach, touriste et citoyen allemand de son état, lorsqu’il arrive à la gare de cette fameuse ville de Morioka par le Shinkansen de 11h38? Restons diplomates et disons, très peu de gens. Néanmoins, Jürgen Leisach a pour lui d’avoir eu la patience d’étudier avant son départ l’intégralité du “Japanisch für Alles” en 3 volumes et 3 CDs remplis d’étudiants qui égarent leur carte de métro, de touristes qui cherchent l’ambassade d’Allemagne parce qu’ils ont perdu leur passeport (un classique international, ou comment joindre l’utile au désagréable), de policiers très serviables qui répondent tout droit puis à gauche après le feu rouge, de salariés qui ne savent pas utiliser la photocopieuse, ou encore de restaurants où tout ce qu’on mange est bon mais un peu cher (car l’apprenant type est toujours un peu radin). Cela a pour résultat de lui permettre de demander son chemin en japonais, ou d’utiliser toutes les photocopieuses du marché, de s’extasier sur des menus à 600 yens (4,50 euros environ), et de savoir dire « ambassade d’Allemagne ». Vocabulaire qui peut être pratique lorsqu’on voyage au Japon, l’anglais local ressemblant plus à une succession de syllabes bouffées par des voyelles incongrues qu’à un langage articulé. Précisons, pour leur défense, que l’anglais est largement aussi difficile d’accès pour les Japonais que le japonais pour nous autres petits scarabées occidentaux. Et Jürgen Leisach le sait mieux que quiconque, lui qui s’est battu pendant des mois contre des photocopieuses récalcitrantes (il ne peut plus voir voir une seule de ces machines en peinture, tellement l’expérience a été traumatisante), des poissons trop chers et des parfums à acheter pour sa mère (l’apprenant type est un peu rat, et toujours célibataire).

   Avant toute chose, la question fondamentale qui se pose est : mais qu’est donc venu faire Jürgen Leisach à Morioka ? Et la réponse est simple : Jürgen Leisach est photographe. Or chacun sait que la photographie reste le seul métier au monde où se retrouver n’importe à utiliser n’importe quel matériel artistique pour n’importe quelle raison ne paraît jamais complètement illogique ou bizarre. Le photographe incarne la liberté de mouvement. Lorsqu’il n’est pas libre il peut faire semblant. Et surtout il peut se servir de son art comme excuse pour aller crapahuter partout dans le monde. C’est exactement ce que Jürgen Leisach a fait. Il a pris un vieux Leica, quelques objectifs, son tout dernier appareil numérique, rien de plus, et a mis les voiles vers le pays du Soleil Levant. Il y pensait depuis plusieurs années. On pourrait même dire qu’il en rêvait.

   Aux quatre coins du monde nombreux sont ceux qui rêvent d’aller au Japon. De ce point de vue Jürgen Leisach n’a rien d’une personne exceptionnelle. Il le serait encore moins s’il s’était contenté de visiter Tokyo, Kyoto ou Hiroshima et Nagasaki. Or ce n’est pas tout à fait le cas. Il est parti de Francfort, est arrivé à Narita, l’aéroport international, a passé une longue semaine à errer avec beaucoup de plaisir dans Tokyo, puis est monté dans un train de la ligne Tôhoku Shinkansen et a, de son plein gré, décidé de s’arrêter à Morioka. Malgré tout ce qui a été dit précédemment, les motivations qui peuvent pousser un être humain normalement constitué à se rendre par sa propre volonté dans cette ville sont toujours mystérieuses, et ce, même si l’être humain en question est photographe. Essayons-nous à une comparaison indicative. En France quand on veut se débarrasser de quelqu’un on dit parfois qu’on le « limoge ». Au Japon, dans le même ordre d’idée, on pourrait facilement « morioker » les importuns trop ambitieux, y compris les artistes-photographes. Ainsi la question reste entière : pourquoi diable Morioka ? Pourquoi cette ville et pas une autre ? Jürgen Leisach chercherait-il à se cacher ? Aurait-il subi des menaces de la part du syndicat international des fabricants de photocopieuses ? Des pressions de la diplomatie allemande ? Voudrait-il se venger de la police ou des restaurateurs japonais pour leur méfiance polie mais méfiante quand même (un allemand pas blond ni très grand ça fait désordre) ? Pour la constipation monstrueuse due à la quantité astronomique de riz qu’il a avalé en une semaine ? Non, rien de tout cela, semblerait-il. Jürgen Leisach ne s’est pas demandé warum Morioka mais warum nicht Morioka. Et en cela on ne peut qu’admirer son sens de l’aventure. Pour tous ceux qui tiennent à tout savoir, lors de ses régulières venues en France Jürgen Leisach a effectivement eu aussi l’occasion de passer par Limoges, et de s’y arrêter, toujours de par son unique et propre volonté. Précision pouvant s’avérer utile pour cerner le personnage. Et précision utile car à part cela, aucune explication fondée n’a pu être trouvée depuis.

   À la lecture de ces lignes le lecteur se fera probablement une image négative de Morioka. Ce n’est évidemment pas le but de la manœuvre, si tant est qu’il y ait manœuvre. Et si tenté qu’il y ait but, en fait.

   Morioka est une ville charmante, à l’image de la charmante employée du bureau de l’office du tourisme, situé dans la gare, qui aide Jürgen Leisach à se trouver une chambre. Sans trop de difficultés, oserait-on dire, mis à part que depuis son arrivée Jürgen Leisach a peur des taxis dont les portières s’ouvrent en vous cognant les parties et se ferment sur vos doigts sans prévenir. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que ce sont bien les conducteurs qui contrôlent ces portières soi-disant automatiques à l’aide d’un levier assez sommairement inutile, si ce n’est pour empêcher le pauvre touriste ignorant de s’assurer une descendance ou pour définitivement tuer son rêve de devenir pianiste virtuose. Jürgen Leisach a les doigts et les testicules solides, mais préfère marcher ou prendre le bus plutôt que de les perdre. L’employée lui donne donc l’adresse d’un ryokan (auberge traditionnelle japonaise, même si l’adjectif « traditionnel » est souvent abusif, et qu’il sert la plupart du temps de synonyme de « confort spartiate ») assez proche.

   C’est ainsi que Jürgen Leisach se retrouve à traverser le centre de Morioka, par une chaleur assez éprouvante, pour se rendre au Kimochiwaru-Kan (le nom a été changé pour préserver l’anonymat de la direction). Sur le chemin il passe sur le pont Kairen qui enjambe la rivière Kitakami, pour arriver dans le quartier auquel il donne le nom d’Ozawa-Kawabara – la lecture exacte des caractères n’est pas le point fort de Jürgen Leisach, de plus, il n’a pas bien entendu comment a prononcé la jeune femme de l’office ; ceci étant, il y aurait trop de choses à dire sur la lecture des noms propres japonais ; pour résumer on pourra dire que c’est un petit enfer dans le grand enfer que représente cette langue - et se dit qu’il n’a aucune raison de regretter d’être venu. Il a chaud, sa valise est un peu lourde, mais il se sent étrangement bien, comme dans son élément. Son œil de photographe est constamment attiré par quelque chose, et il se rend compte qu’il finira forcément par prendre plus de photos que prévu tout au long de son voyage. Bien sûr le béton n’a rien de magnifique mais maintenant qu’il a vu Tokyo il est vacciné. En tant qu’artiste, depuis une semaine il n’arrête pas de recevoir de véritables chocs esthétiques, au milieu de cette laideur étouffante recélant toujours une indéniable part de beauté, que ce soit au coin d’une rue, dans un petit parc, ou même une impasse sombre dans laquelle il faut se forcer à pénétrer pour tomber sur une maison avec un jardin intérieur beau comme tout. Sans oublier la campagne qu’il s’apprête à découvrir et dont il sait qu’elle regorge d’au moins autant de surprises que les villes. Jürgen Leisach réalise qu’en tant que Bavarois il est peut-être le seul à trouver du charme à cet enchevêtrement d’immeubles et de bitume, de lignes de chemins de fer, de fils de téléphone ou de câbles électriques, mais il s’en moque. Il en conclut qu’il est tombé amoureux du pays, comme on tombe amoureux de quelqu’un, lorsqu’on est plus attiré par ses défauts et les faiblesses irrésistibles qu’ils cachent que par ses qualités qui l’éloignent toujours un peu de nous sans qu’on veuille l’admettre. Il l’était probablement déjà avant de venir, mais à chacun de ses pas la confirmation se fait plus nette. Jürgen Leisach est amoureux du Japon, et il n’y peut pas grand-chose.

   Heureusement, le visage peu régulier – restons courtois dans la litote – de la patronne du Kimochiwaru-Kan le ramène très vite à la réalité. À peine est-il entré qu’elle le toise d’un air caricaruralement soupçonneux, qui devient carrément inconvenant lorsqu’il commence à parler japonais. Jürgen Leisach avait jusqu’ici été touché par l’allure et la certaine nonchalance du troisième âge japonais, mais cette vieille acariâtre rééquilibre de sa seule laideur pesante la balance. Le sourire, surtout, ressemble, selon l’angle sous lequel on le regarde, soit à une vieille vulve fripée d’actrice de porno à la retraite, soit à une tranche de salami deux ans après la date de péremption. Rien à voir avec les drôles de lunes que Jürgen Leisach a pu observer sur le visage des gens qu’il a croisés, comme cette fameuse employée – après ces quatre évocations directes le lecteur pourra se permettre d’imaginer qu’elle ait pu d’une façon ou d’une autre taper dans l’œil du sympathique Munichois - à l’office du tourisme, moins d’une heure auparavant. Il paye pour la nuit sans repas ni petit-déjeuner et se laisse guider par la vieille femme et sa beauté toute « baconienne », dirait-il, sans traîner car il tient sincèrement à se débarrasser d’elle au plus vite, et en se demandant si la comparaison n’est pas moins flatteuse pour les toiles de Bacon que pour la patronne. Mais Jürgen Leisach est plutôt fier de l’avoir trouvée. La comparaison.

   Celle que nous nommerons donc à présent affectueusement Francis lui indique d’un geste obséquieux à vomir la salle de bains, sa chambre, les « commodités » - à la turque s’il vous plaît - lui donne sa clé et « prend congé » de lui, comme on dit dans les vieux romans. La chambre est objectivement moins pire que ce que Jürgen Leisach avait craint en entrant. Elle est propre et assez claire, en dépit de la superbe vue sur le mur à moins de trois mètres en face et le minuscule jardin désaffecté juste en dessous (nous sommes au premier étage). Les tatami ne sont pas de toute première fraîcheur mais il ne faudrait pas trop en demander, non plus… Il y a un futon a priori propre plié dans le coin, avec un yukata (kimono léger d’été, leçon 7 du « Japanisch für Alles ») plié lui-même dessus, une petite télé qui marche quand les kami de l’audiovisuel le veulent bien, un ventilateur et une table très basse qui doit probablement servir de bureau. Dans le profond placard, qu’on appelle ici oshiiré (leçon 5, mais Jürgen avait déjà vu ça avant dans des films d’horreur) il n’y a rien sinon une paire oubliée de magnifiques mules en plastiques avec marqué « toilettes » dessus. Car oui, il n’est pas nécessaire de préciser que Jürgen Leisach a abandonné ses pauvres petites chaussures innocentes en entrant, et qu’on lui a donné des chaussons à la place, mais que ce sont des chaussons qu’il ne faut normalement pas utiliser pour aller aux toilettes ou à la douche, communes cela va de soi dans de tels établissements. Question d’hygiène. Un étourdi aura eu la flemme de remettre ces petites merveilles de cordonnerie à la chaîne à leur place. Dans tous les cas preuve est faite que le ménage n’a pas été effectué avec la plus grande attention non plus.

   La lumière est assez exceptionnelle et Jürgen Leisach ne résiste pas à l’envie de prendre quelques photos de sa chambre et de sa pseudo-vue. Malgré tout et malgré le ventilateur tournant à plein régime, il fait une chaleur à crever la bouche ouverte comme un poisson dans une poêle. Ou plutôt dans un four, car l’humidité est beaucoup trop importante pour se figurer qu’on frit. Non, au Japon, en été, on cuit, et bien. À l’étuvée. Au milieu de tout ça, son appareil photo en main et cette lumière si particulière dans les pupilles Jürgen Leisach finit par se rendre à l’évidence que c’est avant tout pour communiquer avec les gens qu’il est venu. C’était le but premier de son séjour. Voir des gens différents et communiquer dans leur langue. Malheureusement, et bien qu’il ait une certaine expérience des voyages à l’étranger, Jürgen Leisach a rapidement réalisé que les Japonais étaient tout sauf faciles à appréhender. Y compris les jeunes. Surtout pour un occidental. Il espérait qu’en s’arrêtant dans des auberges de jeunesse il ferait des connaissances, et il en a fait, un peu. Des gens de tous horizons, de tous âges, de toutes nationalités, mais finalement assez peu de Japonais. S’il ne devait avoir qu’une seule déception ce serait celle-là.

   Alors Jürgen Leisach, dans un grand élan d’optimisme et d’auto-détermination, décide de prendre son courage à deux mains et de forcer le trait, quitte à paraître ridicule. Il est déterminé, donc. Il sort de sa chambre. Le couloir est vide comme un côlon d’ascète. En d’autres termes, pas un chat. C’est à peine si on entend les bruits de la petite rue qui longe le Kimochiwaru-Kan. Il ne semble pas y avoir d’autres clients que lui. En ce milieu de jeudi après-midi, début août, cela n’est pas étonnant. Un peu déçu néanmoins, donc, Jürgen Leisach, on ne sait comment ni pourquoi, se met en tête de vérifier si Francis ne lui aurait pas, par hasard, donné la pire des chambres de l’établissement, sinon par pur racisme, au moins juste par plaisir de casser les pieds à un étranger qui se permet d’essayer de parler sa langue. Ce qu’il faut savoir, c’est que dans ce type d’auberges, les portes n’ont pas de serrure particulière et peuvent s’ouvrir de l’extérieur si on ne pense pas à les fermer à clé. Un peu comme dans une grande maison. Jürgen Leisach l’a remarqué très vite, et choisit d’en profiter. Il n’y a contrairement aux apparences aucune mauvaise intention dans son geste. Il veut juste vérifier, et reste presque certain qu’il est seul à ce moment dans l’auberge avec cette chère Francis. Sinon, ce sera l’occasion de faire connaissance. Quitte à le répéter, il n’a que ceci, faire des connaissances, et absolument rien de pervers ou de voyeur en tête, quand, en fin de compte pas du tout sûr de lui, il ouvre doucement la porte de la chambre juste à droite de la sienne.

   À ce point du récit la nouvelle question fondamentale qui se pose est : pourquoi, alors qu’il s’apprête à commettre une faute monumentale, Jürgen Leisach ne pense-t-il pas une seule seconde à frapper à la porte ? Et cette fois y répondre de façon nette et précise ne sera malheureusement pas possible. La vérité est qu’aucune excuse n’a pu être trouvée pour sa défense, sinon que l’erreur est humaine. Certains diront que Jürgen Leisach a inconsciemment péché par curiosité. D’autres pencheront plutôt pour la gourmandise, voire l’orgueil. Quoi qu’il en soit revenons à l’action.

   Jürgen Leisach, la main sur la poignée, continue de pousser la porte, qui ne paraît pas motivée pour grincer en bonne porte qui se respecte. La première chose qui se présente à ses yeux n’est pas la chambre ou même la lumière, mais un corps qui lui tourne le dos, couché en chien de fusil au milieu de la pièce, à même le tatami. Surpris et très gêné, il détermine en moins d’une seconde qu’il s’agit d’une jeune fille qui lui a tout l’air d’être en vie. À son allure et ses cheveux noirs et raides, et surtout parce qu’il sait où il se trouve, Jürgen Leisach n’a pas besoin de se demander si elle est japonaise. Un peu pétrifié, toujours sans lâcher la poignée, il fait le tour de la pièce du regard. Le futon est plié, la télé et le ventilateur éteints. Il ne voit pas de bagages. La première chose qui lui vient à l’esprit est que c’est vraiment bizarre de se coucher sur le tatami, à ne rien faire, immobile de chez immobile, ventilateur éteint par cette chaleur, dans cette position inconfortable alors qu’on a un futon à portée de main. Soit cette fille manque de logique, soit elle a un problème. Jürgen Leisach hésite. Hésite à quoi faire il ne sait pas bien, mais hésite. Par réflexe il commence à fermer la porte sans le moindre bruit. Puis se ravise juste avant que le pêne claque, honnêtement un peu inquiet qu’il est pour la jeune fille, mais toujours sans penser au toc-toc plus que de rigueur dans ces circonstances. Deuxième erreur pachydermique. C’est le pied droit de Jürgen Leisach qui émet enfin un léger craquement. La demoiselle se retourne avec lenteur, aussi réveillée qu’un vigile narcoleptique. Elle réalise à moitié ce qui se passe, et se crispe, d’un seul coup. Et là, c’est le cri de la mort qui tue. Terrifiant parce que maladroit et endormi. La jeune fille met du temps à réagir et la voix semble suivre la courbe de réveil. En d’autres termes, le hoquet de surprise qu’il nous arrive tous d’avoir se transforme en un peu moins de deux secondes – et Dieu sait que parfois, deux secondes peuvent devenir une éternité – en véritable cri de film d’horreur de série Z. Jürgen Leisach est mort de honte, plus pour lui que pour elle, et essaye aussitôt de la calmer avec son japonais de manuel qu’il bafouille pitoyablement, et dont, sous l’effet du stress, il ne parvient même pas à retrouver les mots qu’il est censé connaître. Traduction approximative du peu qu’il arrive à sortir « Je euh… suis… voisin… chambre… à côté… vous… pas… vous inquiétez pas… Désolé… je suis désolé… pardon… excusez-moi ». Pour donner une idée de la situation, disons qu’une telle intensité dans le dialogue et dans la gestuelle ne s’est pas vue depuis la mort de Kurosawa. Du grand art, assurément, qui n’empêche pourtant pas Jürgen Leisach de claquer à moitié la porte et de se réfugier dans sa chambre avec la honte de sa courte vie sur l’estomac. Un peu traumatisé, donc, il lui faut une bonne vingtaine de minutes pour se ressaisir, prendre conscience que le ridicule tue plus qu’on le dit, et décider de s’enfuir comme un homme courageux, c’est-à-dire au moins pour une heure, sinon deux. Après avoir récupéré ses chaussures dans l’entrée il sort le plus discrètement possible et garde sa clé sur lui juste pour le plaisir de faire bisquer Francis, dont le ryokan reste vide, pour l’instant, ajouterons les diplomates.

   Voilà ainsi notre ami parti en promenade, pour décompresser, comme toujours avec son Leica en bandoulière. Il va tout droit sur la droite en sortant et se retrouve dans les ruines du château de Morioka. Ruines est encore une fois un terme un peu abusif, car chacun sait qu’au Japon toutes les constructions traditionnelles, et a fortiori celles du Moyen-Âge, sont en bois, et que le bois qui brûle ne laisse par définition pas de ruines très intéressantes, autrement dit rien – les cendres ne sont pas assez obéissantes pour rester sur place pendant des siècles - sinon les murs de fortification. Ainsi le château de Morioka ressemble un peu à un site touristique fantôme. Les jardins, en revanche, sont devenus un très joli parc, prisé des jeunes couples d’amoureux, qui pullulent littéralement à cette heure du jour, à moins que ce soit la frustration et la jalousie relative de Jürgen Leisach qui fassent court-circuiter ses nerfs optiques. Hormis cela, il fait un temps magnifique, la température commence à baisser un peu et Jürgen Leisach se sent bien. Sur un banc au loin, et ceci est vrai, une lycéenne en uniforme, posée pour on ne sait quelle bonne raison à quatre pattes à côté d’une amie assise normalement, elle, semble ne pas remarquer que l’ensemble du lieu profite d’une vue unique sur sa culotte. Afin de saisir l’idée, on se figurera l’étoile du berger, en coton bleu. Jürgen Leisach n’en croit pas ses yeux, mais préfère le blanc, et continue son chemin. Il passe devant des statues, un temple, et la bibliothèque départementale où il décide à contrecoeur de ne pas entrer, notamment parce que comme toute bonne bibliothèque de province, elle a l’air fermé. Il arrive ensuite au centre ville proprement dit et s’arrête devant plusieurs bâtiments à l’architecture étrange d’influence américaine. Il prend des photos comme il en a déjà beaucoup prises dans le parc (sauf la culotte, qu’il regrettera peut-être un jour, pour l’anecdote), puis continue vers l’est et les berges de la rivière Nakatsu (toujours lecture personnelle et incertaine). A cette saison elles sont très larges et la rivière très fine. Quelques personnes en profitent pour en faire leur lieu de promenade. En comparaison avec le parc c’est nettement moins joli à voir mais, encore une fois grâce à la lumière qui se met à décliner – le soleil se lève et se couche tôt au Japon – il règne une ambiance que Jürgen Leisach n’a pas peur de décrire comme délicieuse, à la fois urbaine dans la forme mais sensible et humaine dans le fond. Il en oublie presque sa honte. Il croise une vieille dame qui promène son chien, un monsieur en vélo, un jeune qui fait son jogging, un couple en train de se chamailler gentiment, une maman avec sa petite fille de quatre ou cinq ans mignonne à croquer. Tous le regardent avec un étonnement certain, lui et son appareil-photo, mais Jürgen Leisach ne se sent plus aussi agressé que par Francis. Un peu plus loin deux jeunes filles assises à discuter juste au bord de l’eau lui lancent un « hello ». Très refroidi par sa dernière tentative d’approche, Jürgen n’en a pas moins très chaud aussi et se dit qu’il se rafraîchirait bien au moins les mains dans l’eau de la rivière qui de prime abord à l’air étonnamment propre. De l’autre côté de la rive il voit un homme le précéder dans son idée et se permet donc de faire de même, à côté des deux filles. Elles l’observent, attentives et amusées. Un peu gêné, sentant leurs regards dans son dos, Jürgen Leisach s’oblige à se retourner et à leur dire quelque chose avec le sourire. « Elle est bonne, ça fait du bien ! ». Elles le dévisagent, incrédules, puis se mettent en chœur à sourire jusqu’aux oreilles. « Tu parles japonais ? » « Oui… un peu. » « D’où est-ce que tu viens ? » « D’Allemagne. » « D’Allemagne ? Waah, il vient d’Allemagne, jusqu’ici !? C’est pas vraiment la porte à côté… tu sais dire quelque chose en allemand, toi ? » « Ben, à part Guutentagu, Aofubiidaazéén ou Danké shéén, non, et toi ? » « Non, c’est pour ça que je te pose la question ; ça veut dire quoi, tout ça ? » « Bonjour, au revoir et merci ; j’ai appris ça dans un manga gay sur Louis II de Bavière, en fait » explique la jeune fille de gauche, pas peu fière, à celle de droite. Jürgen Leisach n’est pas sûr de ce qu’elles racontent, mais laisse échapper un rire. Ce qui est certain c’est que l’allemand n’est pas plus facile à prononcer que l’anglais. Elle se retourne vers lui toujours avec le sourire et lui demande « Et qu’est-ce qui t’amènes jusqu’ici ? » « Je fais… juste… tourisme, je… prends… des… photos… » « Hé bé, maintenant que j’ai vu un occidental, un européen même, à Morioka, je crois que je peux mourir… » coupe celle de droite. Les deux éclatent de rire et Jürgen Leisach les imite avec plaisir, bien qu’il ne soit toujours pas certain d’avoir compris la blague. Tous les trois continuent ainsi à discuter pendant quelques minutes, puis il les laisse tranquilles. Elles sont plutôt jolies, mais il n’a plus la moindre envie de prendre des coordonnées, même au cas où il s’attarderait dans le coin. Elles lui disent Aofubiidaazéén, puis le laissent aller. Sur le chemin du retour à l’auberge Jürgen Leisach tombe sur ce qu’il prend tout d’abord pour une église, mais qui s’avère être un temple protestant. Bizarrement, si loin de chez lui, dans ce pays où les chrétiens sont une toute petite minorité, il a envie d’entrer et de prier. Chose qu’il n’a quasiment jamais faite de sa vie. Il s’abstient donc, se trouvant ridicule, et passe son chemin.

    Francis ne l’accueille pas plus qu’elle l’a conduit à la porte à son départ, et le moins que l’on puisse dire c’est que Jürgen Leisach ne s’en chagrine pas. Les couloirs, la « salle à manger » et les chambres du Kimochiwaru-Kan ne semblent pas plus remplis qu’à son arrivée. En contraste avec la relative gaieté de la balade le silence en deviendrait presque pesant par endroit. Jürgen Leisach ôte ses chaussures prend des mules au hasard et se presse de se réfugier dans sa chambre en faisant le moins de bruit possible. Il est à peine assis à la table très basse lorsqu’il se rend compte de son épuisement physique et nerveux. Depuis une semaine, le pays ne lui aura rien épargné. Instinctivement il s’allonge sur le dos, face à la fenêtre, et entreprend de résumer sa situation actuelle pour mieux définir les choses qu’il a à faire. Touchante naïveté que de le voir, encerclé par la lumière écarlate de fin d’après-midi, perdre sans s’en rendre compte les trois quart de sa conscience éveillée. Il était tout sauf prêt à dormir et surtout à imaginer la suite des petits événements de sa vie japonaise.

   Car un quart de conscience éveillée ne permet pas d’entendre le petit claquement d’une porte qui s’ouvre, et encore moins celui d’une personne qui s’approche de vous à pas de loup. Et le temps que ce quart restant appelle les trois autres en renfort pour reconnaître la jeune fille à qui il a fait peur quelques heures auparavant, penchée très près sur son visage, à l’envers, Jürgen Leisach fait un bond prodigieux de dix centimètres au moins, se redresse comme un éclair, puis se retourne, assis, maintenant face à elle, le cœur battant à tout rompre sous l’effet de l’adrénaline aveugle. Il reste adossé un long moment à la table très basse, l’air complètement ahuri. Elle est debout mais lui n’est pas en mesure de la regarder dans les yeux. Il trouve juste qu’elle a de vraiment jolis pieds nus. Sa conscience revient et lui remémore à l’arrache les faits du jour. La jeune fille le laisse récupérer quelques secondes puis s’accroupit en face de lui. Jürgen Leisach fixe maintenant sans trop le vouloir les genoux un peu abimés, puis le short minuscule, puis les petits seins dans le T-shirt moulant, puis la gorge, le menton, la bouche et son sourire victorieusement moqueur et enfin les yeux, beaucoup plus doux qu’il ne l’aurait craint s’il était complètement réveillé, en dépit du noir qui les couvre sur l’ensemble de leur surface. « Comme ça on est quitte » fait-elle en riant, avant de sortir comme une flèche, sans se retourner. Après cette tornade, Jürgen Leisach, encore bien ensuqué avouons-le, se demande s’il ne s’agissait pas d’un rêve, puis se rendort à moitié, toujours aussi fatigué, donc, et sans la moindre force pour réfléchir à quoi que ce soit.

   Trois heures plus tard quand il se réveille il fait nuit et il se sent très sale, et pas reposé, les yeux dans le cirage. Lentement il recouvre ses esprits, prend son yukata plié sur le futon et se dirige vers la salle d’eau au rez-de-chaussée. Elle est vide et silencieuse, sinon les petits bruits de robinets plein de gouttes qui font leur travail de gouttes. La grande baignoire est pleine. Au Japon elle ne sert normalement qu’à se délasser. On doit, en théorie, se laver avant à l’aide des douches installées à côté. En théorie, parce que depuis que Jürgen Leisach a vu quelqu’un, un Japonais, entrer directement dans la baignoire, dans son auberge à Tokyo, il préfère s’en tenir à la douche, y compris quand il n’y a personne comme ici et que le bain est visiblement encore vierge. Et comme à chaque fois il se sent un peu stupide assis sur son petit tabouret en plastique, mais l’eau chaude et le savon lui font du bien. Profitant de la tranquillité il s’attarde un peu, car pour une fois il est heureux d’être seul. Mais cela ne dure malheureusement pas. Au bout d’une dizaine de minutes, à travers les petits carreaux en verre fumé, il voit s’allumer la salle de bains des femmes située juste à côté. Le problème de ces petits carreaux en verre fumé c’est qu’au niveau de leurs jointures il sont quasiment transparents. La silhouette d’une femme visiblement très nue fait son apparition. Jürgen Leisach n’a, on l’a dit, rien d’un voyeur, et laisse échapper un gloups de gêne. La probabilité qu’il s’agisse de Francis étant – on peut le croire – très faible, Jürgen Leisach enchaîne avec un autre gloups lorsqu’il réalise que cela ne peut être que la jeune fille endormie mais revancharde. Son instinct de survie lui ordonne à nouveau de fuir avec discrétion et dignité, car il ne préfère mieux pas savoir ce qui pourrait arriver si elle s’apercevait soudain de la transparence des jointures de ces fichus carreaux. Discrètement, donc, il choisit de laisser pour l’instant ses vêtements, qui ne risquent rien au vestiaire, et la lumière allumée, pour ne pas éveiller les soupçons, puis de sortir le plus vite possible, sans se sécher, tout en attrapant son yukata à la volée et en l’enfilant aussi vite qu’un pompier enfilerait dans l’urgence sa combinaison. Schéma a priori imparable, mais abritant en fait la magnifique dernière combinaison d’erreurs fatales de Jürgen Leisach. En effet, si en principe la lumière allumée permet de mieux voir, il arrive parfois qu’une ampoule mal placée joue des ombres qu’elle fait porter pour cacher par exemple une vicieuse petite marche d’entrée de salle de bain, dont notre héros, dans son agitation, ne se souvient plus s’être méfié à son entrée. Il trébuche très légèrement mais pense pouvoir coller au plan qu’il s’est fixé. Malheureusement pour lui s’ensuit un triste concours de circonstances qui font que, ne s’étant pas séché, Jürgen Leisach va se mettre à glisser un grand coup en direction de la salle de bain des femmes, sans pouvoir s’équilibrer correctement car il est, rappelons-le, en train d’enfiler son yukata. Dans un ziiip foudroyant il parvient néanmoins à s’accrocher au rideau protégeant l’entrée de cette même salle de bains, mais, par l’effet conjugué de son poids de son élan et de sa vitesse, l’arrache comme du papier, et se remet dans l’instant à zipzipper frénétiquement droit à travers le vestiaire, heureusement vide d’humaines, mais rempli d’étagères de petits paniers de rangement en plastique auxquels, en aveugle, car la tête maintenant coincée dans son yukata, il cherche désespérément à s’agripper, sans succès sinon celui de faire un barouf monstre, et de se remettre à zipper comme un beau diable – il faut savoir que, un malheur n’arrivant jamais seul, Jürgen Leisach ne pouvait savoir qu’il a choisi le jour du mois que Francis préfère pour enlever les pads antidérapants et les nettoyer complètement – jusqu’au milieu de la salle de bains, où il effectue un sublime zoooop final et se retrouve les quatre fers en l’air et le zizi pas plus à l’abri, pile en face de la jeune fille, effectivement nue mais surtout interloquée, qu’il ne voit pas encore puisque même à terre avec les fesses en compotes il n’en est pas moins toujours en train de s’asphyxier avec son yukata. Au moment où il arrive à s’en dépétrer, cinq secondes après, la demoiselle n’a pas eu le temps de se couvrir de sa serviette, hors de portée immédiate. En vérité, l’effet de surprise lui a tout coupé, et elle n’a quasiment pas bougé. Elle reste sans voix, stupéfaite de chez stupéfaite, assise sur son tabouret en plastique, vue de côté, les cheveux et les mains déjà pleins de shampooing, et les yeux ne pouvant se détacher du pénis parachuté en territoire ennemi. Jürgen Leisach finit par avoir le réflexe de le cacher avec son yukata, mais ne parvient pas à se relever et fuir comme le héros incompris qu’il restera à jamais. Maintenant les yeux dans les yeux, notre joli mais empoté couple germano-nippon se retrouve dans une impasse scénique. D’un côté Jürgen Leisach serre les dents et s’attend chaque seconde un peu plus à devoir arrêter avec sa tête un superbe dégagement de tabouret en plastique, de l’autre la jeune fille semble avoir petit à petit envie de rire mais de se retenir pour ne pas passer pour une fille facile qui laisse les garçons entrer dans les salles de bains en zippant et en s’exhibant comme des gros cochons. Après une huitaine de secondes – toujours aussi longues – elle n’en peut plus et éclate effectivement de rire à peu près aussi fort qu’elle a crié la première fois que ce jeune occidental a fait irruption dans sa vie en lui foutant la trouille, de sa vie. Elle était allée le réveiller parce qu’elle avait voulu vérifier sa première impression qui était qu’il était plutôt très mignon et trop maladroit pour un violeur. Là elle peut approfondir son étude, et confirmer qu’il est assez bien foutu, et que son zizi d’une taille convenable se trouve bien là où il faut. « Tu verrais ta tête ! » réussit-elle à lâcher, hilare, la main devant la bouche, comme rient ou sourient toutes les Japonaises. Réflexe que certains trouveront craquant, mais qui peut s’avérer dangereux quand ladite main est couverte de shampooing. Entre deux reprises de souffle elle aspire d’un grand coup une bonne dose de camomille et s’étouffe à moitié avec une grimace irrésistible. Elle met six secondes à se remettre. Suffisant pour laisser à Jürgen Leisach le temps de placer sa meilleure phrase japonaise jamais prononcée, « Tu… peux parler, toi ! » et d’éclater de rire à son tour. Les yeux pleins de larmes le nez qui coule et la gorge douloureuse elle est incapable de répondre quoi que ce soit, et le rire contagieux reprend entre eux deux, un poil malgré eux. Puis brusquement ils se taisent, sans se quitter des yeux. Ils viennent de réaliser qu’ils sont à la base dans une situation gênante digne des pires manga pour ados. « Allez, sors vite d’ici ou je hurle, et je te préviens qu’à côté, ce que t’as entendu tout à l’heure, c’était rien ! » reprend-elle à moitié faussement autoritaire « et en passant file moi ma serviette, pervers ! » Jürgen Leisach s’exécute en prenant à moitié bien son temps, sans rien dire parce qu’en japonais il préfère se limiter à l’essentiel « Allez, magne, avec le boucan que t’as fait, la patronne va pas tarder à rappliquer, et je peux te dire que c’est pas moi qui te rattraperai ! » « Mince… j’avais… oublié Francis… » « Francis ??? Qu’est-ce que c’est encore ?! Allez, grouille-toi ! On se retrouve pour le dîner. » « Hein ? Quel… dîner ? » il se retourne, le yutaka dans une main et la serviette dans l’autre « Celui que tu vas m’offrir. Et approche pas ma serviette de ton machin ! Donne-la moi ! » « Comment… un dîner… je doise t’offreur… un… dîner ? » « Exactement, si tu veux pas te retrouver à chercher un autre endroit où dormir ce soir… » explique-t-elle, avec un petit sourire malicieux « Mais… je… veux pas, moi ! » ment-il un peu, par fierté « Je t’ai pas demandé ton avis, sale voyeur ! » « Héé mais… aussi… c’est… chantage ! » « Exactement ! Dis-moi t’en connais des mots en japonais ! Ca tombe bien je comprends pas l’allemand… » silence perplexe « Comment… tu… sais… je suis allemand ? » « Ton passeport dans ton sac. J’ai un peu fouillé pendant que t’étais sous la douche. Ta chambre est ouverte, au fait… » répond-elle, toujours avec le sourire. « Quoi ?? Mais, mais… » « Je crois que t’as rien à redire, non ? Allez, du vent, maintenant, laisse-moi finir de me laver ! On en reparle tout à l’heure » conclut-elle plus sèchement, luttant pour effacer son sourire, et la main tendue pour récupérer sa serviette. Jürgen Leisach lui rend, non sans la retenir juste ce qu’il faut pour se venger à contempler le corps frêle de celle dont il ne connaît toujours pas le nom. « Au fait… comment… tu t’appelles… ? » demande-t-il alors qu’ils sont maintenant debout, nus comme des vers, à tirer chacun sur le bout d’une serviette joyeusement trempée « Si je te le dis, tu me promets de me foutre la paix au moins jusqu’à la fin de mon bain ? » lâche-t-elle du ton le plus sérieux qu’elle puisse trouver, sans succès. Une grosse motte de shampooing lui passe devant les yeux pour s’écraser avec un petit floc sur le carrelage. « Je… le promets. » « Vraiment ? » « Vraiment. Je m’appelle Jürgen. » « Je sais, andouille. Enfin, maintenant, je saurai le prononcer. Moi c’est Sayaka. Enchantée mais maintenant, DE-HORS ! On parlera tout à l’heure, j’ai dit !» rit-elle en faisant mine de lui mettre un coup de pied au derrière. Jürgen Leisach abdique, enfile enfin correctement son yukata bien mouillé avec du shampooing un peu partout, puis se dirige vers la sortie, sans trop savoir que faire du bazar qu’il a causé, et préférant ne pas y toucher pour obéir et ne pas gâcher cette drôle de rencontre. Il ne peut s’empêcher de penser que ce genre de choses ne se voit habituellement que dans les films ou les séries télévisées. Pourtant, alors qu’il est déjà dans l’escalier qui encercle les deux salles de bain, Sayaka le rappelle à l’ordre, bien fort, avec un soupçon d’ironie dans la voix « Ne va pas t’imaginer des choses, non plus, je te sens d’ici sourire comme un idiot! ». Et les deux de s’entendre rire à l’unisson.

   La suite chacun d’entre nous pourra l’imaginer à sa guise, malgré l’interdiction de la jeune fille. Certains supposeront qu’ils ont dîné dans un bon restaurant, car il y en a évidemment, même à Morioka, dont certaines spécialités de nouilles sont réputées, et qu’ils ont bavardé sans vouloir ou pouvoir s’arrêter, malgré les petites difficultés de Jürgen, jusqu’à la fermeture. Ces mêmes personnes continueront d’imaginer qu’à leur retour ils sont allés se coucher sagement chacun dans leur chambre. Parmi ces personnes une bonne partie suggérera qu’un peu plus tard c’est certainement Sayaka qui est venue toquer à la porte de Jürgen, qu’elle est entrée et s’est couchée avec lui dans le futon sans lui demander son avis parce que depuis le début elle a décidé de ne pas lui demander son avis. Ces personnes affirmeront qu’ils ont fait l’amour, par curiosité, par envie, et peut-être aussi par nécessité de mettre un point d’orgue à cette histoire. « Ils se sont quand même vus tout nus ! Et pis, ils se plaisent à mort, ça se voit trop ! » argumenteront-ils avec véhémence. Des gens complètement différents préféreront voir quelque chose de plus platonique, sur le long terme. Comme un correspondance passionnée, par exemple. « C’est beaucoup plus beau comme ça, arrêtez vos conneries, vous autres ! ». D’autres encore, les plus méticuleux, tempêteront «  Mais on s’en fout, nous, de savoir s’ils ont fait l’amour ou s’ils sont restés en contact! Nous, on veut savoir qui est cette Sayaka, d’où elle vient et ce qu’elle faisait ce jour-là à Morioka ! Elle est trop mimi ! Et sa fausse autorité c’est juste une protection parce qu’en fait elle doit être super timide et pas sûre d’elle ! Trop craquante ! Alors on veut en savoir plus sur elle ! Quoi ? Vous dites que vous pouvez pas continuer ? C’est quoi c’te arnaque, remboursez ! ».

   Quoi qu’il en soit, et au grand dam de tous ces jeunes et moins jeunes gens qui auront fini par s’attacher à nos deux héros, il faudra malheureusement se contenter d’imaginer, car la vérité est qu’à part eux, il semble que personne n’en connaisse le fin mot de l’histoire. Peut-être Francis, à la rigueur, mais on pourra se laisser aller à penser qu’il n’y aura que peu de volontaires pour aller vérifier. Tout ce que l’on sait c’est que le lendemain, Jürgen Leisach reprend le train pour Hakodaté, dans l’île de Hokkaidô. On sait que lors de son changement de train à Akita, en attendant sur le quai, il fait la connaissance d’un jeune japonisant français du nom de Frédéric Maucandret, avec qui il sympathise très vite et continue son voyage pendant une dizaine de jours. On sait également qu’après de nombreuses conversations – en français, car il le parle couramment, puisque rappelons-le il connaît même Limoges – il commence enfin à évoquer son séjour à Morioka, et surtout sa drôle de rencontre avec une fille extraordinaire ; la première fois par sa faute, la deuxième fois contre son gré, et la dernière (?) par un concours de circonstances objectivement hilarant - il faut voir Jürgen Leisach s’imiter en train de glisser - et finalement très heureux, malgré un démarrage difficile, si l’on se permet le jeu de mots. Malheureusement pour nous, et bien que ce soit tout à son honneur, Jürgen Leisach est quelqu’un de très pudique qui ne conçoit l’amour et le sexe que comme quelque chose à ne partager qu’à deux. Il a toujours eu horreur de déballer ce genre de choses, quel que soit son interlocuteur. Voyant son nouvel ami français assez déçu, il consent, le dernier jour avant son retour en Allemagne, à lui montrer les photos qu’il a prises de Morioka. Maucandret est touché, car Jürgen Leisach lui a dit qu’il fait en général toujours ses développements lui-même. Sur cette centaine de photos aujourd’hui très connues, on voit le centre-ville, la gare, le parc, des badauds, des passants, des couples, le château, les berges de la rivière Nakatsu, la chambre. Sur chacune d’entre elles la lumière est magnifiquement rendue. Enfin, les quatre dernières, les plus célèbres, sont les uniques portraits de la série. Il sont pris eux aussi à la gare, et quasiment identiques. On y voit une jeune fille aux yeux tristes, extrêmement photogénique. Elle est adossée à une rembarde. Elle ne fixe jamais l’objectif, sans pour autant avoir l’air absent. Sur l’une des photos on sent d’ailleurs bien qu’elle se force à ne pas le regarder en face. Elle sourit faiblement mais on imagine qu’elle vient de pleurer. Elle est vêtue d’une simple robe d’été bleue sans manches, qui lui va à merveille. Derrière elle la ville brûle sous le soleil, mais elle ne semble aucunement avoir chaud. Certains disent parfois qu’elle paraît même plutôt frissonner. Maucandret, pour sa part, reste scotché sur celle où elle croise les mains devant elle, les doigts presque tordus par l’émotion de ce qui ressemble fort à une séparation. « Elle te plaît ? La photo je veux dire… » fait Jürgen Leisach avec un sourire aussi triste que celui de la jeune fille. L’étudiant acquiesce sans un mot, ému comme rarement il l’a été par un portrait. « Si tu veux tu peux la prendre, il n’y a pas de problème, je crois que je referai des développements chez moi, de toute façon…»

   Et Jürgen Leisach de joindre un geste à la parole en demandant à Frédéric Maucandret de lui passer deux secondes la photo, pour y noter au dos, avec de petits caractères très soignés, le titre qu’il sait déjà par coeur et qu’il utilisera peu de temps après pour son exposition à succès. Morioka no Sayaka.
« Sayaka de Morioka ».

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