Juste en bas de chez moi sur le trottoir il est gravé 271199.
Regardez-vous vos pieds lorsque vous marchez ? Sûrement. Ne pas le faire devient en quelque sorte dangereux à cette saison mais là n'est pas la question.
Là n'est pas la question, en cette saison où le calendrier prend des rides.
2011 se faufile dans les sinus. Alors qui se soucie du 27 novembre 1999 ? Qui se préoccupe de savoir ce qu'est devenu la personne qui a laissé cette trace infime et si précieuse ? Ce qui la préoccupait, elle, au moment de faire ce geste insignifiant mais essentiel ? Ce qui inquiétait son monde à l'époque ?
Je me souviens clairement de 1999. Plusieurs fins du monde successives et inutiles droit dans la gueule.
Je me souviens de 1999, comment elle s'est annoncé, comment elle a commencé, comment elle s'est pervertie comment elle a fini. Les milliers de petites histoires où je croyais avoir un rôle à jouer écrasées par la grande que je ne pouvais pas appréhender, cette grande histoire auxquelles se greffent les toutes petites que je ne sais toujours pas sceller.
Avez-vous des séquelles de 1999 ? Avez-vous des blessures qui remontent à cette époque, comme celles de nos forêts ravagées ? Avez-vous oublié les noms des tempêtes ? Cela importera-t-il plus en 2011 qu'en 2010 ?
Je me souviens de 1999, comment elle s'est immiscée en chacun de nous, comment elle est née comment elle a vécu et comment elle est morte. Comment elle a explosé. Je m'en souviens bien, et mes 18 ans d'alors n'y sont pour rien. Je me souviens de cette année et de ces couches de malédictions. De son début intrigant et de sa fin littérale. Je me souviens des envies de mort, des besoins de départ comme du retour. Je me souviens de l'été, je me souviens de l'arrivée, des humiliations. Je me souviens de l'automne et du froid et des sales blancs bouseux.
Je me souviens du printemps théorique et de la fin de tout. Je me souviens des oiseaux morts-vivants dans le mazout et des côtes noires comme de la merde grasse.
Mais vous, avez-vous des séquelles de 1999 ? Que faisiez-vous le 27 novembre 1999, quel âge aviez-vous ? Quels étaient vos espoirs vos rêves ? Quels seront-ils pour 2011 ? Les mêmes ? N'êtes-vous pas à la longue un peu fatigué de rêver à perte ?
Avez-vous des séquelles de 1999 ? Pensez-vous d'ores et déjà être en train de vous en créer pour 2011 ?
Qu'avez-vous vécu de grand ces 12 dernières années ? Qu'avez-vous subi d'indispensable qui justifie le lamentable malheur constant ? De joyeuses naissances, de bien tristes morts ? Des désillusions en embuscade permanente ? De l'espérance atrophiée ? Du travail épanouissant ? Des études essentielles ? Des baises surnaturelles ? Des rencontres valides ?
Je ne me souviens que trop bien de 1999, de ses tenants de ses aboutissants., de ses tachycardies, de ses béta-bloquants horribles, de ses échecs à venir de ses souffrances indicibles parce que ridicules a priori comme a fortiori.
Ma fascination malsaine pour les dates n'a pas de limites, et 1999 y est au centre exact. Mon triangle des Bermudes personnel. Mon enfer créé de toutes pièces. Et le droit à la répétition le droit à l'emphase je me l'octroie.
Pourtant, et pourtant à tout enfer se lie un oasis, que je connais par coeur, auquel je m'accroche sans relâche, auquel je tiens bon. De nouvelles sensations - éphémères - de respect. Quelques éclats de rire, quelques impressions de grande vie, quelques jolies filles quelques secondes. Le lagon qui s'enfuit. Une éclipse terrifiante et salvatrice. Quelques samedis midi libérateurs d'une fange pas encore décelable.
Mais vous, vous, qu'avez-vous retenu de 1999 ? Que retiendrez-vous de 2011 ?
Quelle espèce d'importance tout cela pourra-t-il avoir en 2023 ?
Baissez le regard dans nos villes et admirez le temps qui défile sous vos pieds, vous aurez parfois peur, vous serez souvent amusé de voir à quel point la mémoire est défaillante, à tous les âges. Mais vous serez surtout triste de constater une fois de plus à quel point tout passe trop vite.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, après ce qui vient d'être écrit, je vous souhaite à tous, très chères lectrices très chers lecteurs, un joyeux réveillon.